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L’industrie cinématographique indienne, jadis vitrine culturelle incontestée, semble désormais prisonnière d’une logique de radicalisation inquiétante. Alors que le film Dhurandhar suscite une vive controverse internationale pour sa représentation des minorités, une enquête approfondie menée par Sciences Po et le magazine The Caravan met en lumière les mécanismes du Hindutva. Cette idéologie, portée par le RSS, transforme progressivement la démocratie indienne en une vaste machine de propagande.
Bollywood : un « soft power » au service de l’idéologie
Le contraste est saisissant. D’un point de vue purement technique, le cinéma indien moderne n’a rien à envier aux productions hollywoodiennes : cinématographie soignée, scénarios rythmés et scènes d’action spectaculaires. Pourtant, derrière cette façade rutilante, des productions comme Dhurandhar révèlent une tendance de fond : l’obsession de présenter des antagonistes unidimensionnels, presque exclusivement musulmans ou pakistanais.
Cette dérive narrative a des conséquences économiques tangibles. Le film, bien que populaire en Inde, a été interdit dans plusieurs pays du Golfe. Ce boycott représente un manque à gagner significatif, ces territoires abritant des millions de résidents sud-asiatiques. Il souligne également le paradoxe d’une nation dont le discours étatique hostile aux musulmans risque de compromettre les opportunités professionnelles de ses propres citoyens à l’étranger.
« Seeing the Sangh » : radiographie d’un réseau tentaculaire
Comment l’Inde, longtemps admirée pour sa laïcité, a-t-elle basculé ? Des éléments de réponse se trouvent dans le projet de recherche « Seeing the Sangh », fruit d’une collaboration entre le CERI-Sciences Po et le magazine d’investigation indien The Caravan. Cette initiative cartographie l’influence du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS).
Souvent qualifié par le Premier ministre Narendra Modi de « plus grande ONG du monde », le RSS est décrit par cette enquête comme le « plus grand réseau d’extrême droite de l’histoire ». Bien que l’organisation ne reconnaisse officiellement qu’une trentaine d’affiliés, les données révèlent une nébuleuse immense d’organisations satellites. Ces entités, agissant souvent dans l’ombre, orchestrent des campagnes allant du harcèlement des minorités au changement de noms de villes, en passant par l’incitation à la violence.
Le Hindutva au-delà de la politique
Selon Christophe Jaffrelot, directeur de recherche à Sciences Po et spécialiste de l’Asie du Sud, il est crucial de ne pas réduire le Hindutva au seul parti au pouvoir, le BJP. Ce mouvement ethno-religieux a développé des racines profondes dans la société civile indienne depuis la création du RSS en 1925.
L’étude démontre que les militants nationalistes hindous ont infiltré quasiment tous les milieux sociaux et professionnels. Ce maillage ne se limite plus aux frontières indiennes mais s’étend désormais à l’échelle mondiale, soutenu par une diaspora active. Cette expansion inquiète jusqu’aux grandes institutions académiques américaines, comme Stanford, qui se penchent désormais sur la propagation de cette idéologie.
Une démocratie à l’épreuve de la haine
L’emprise toxique du Hindutva sur la créativité et le débat public soulève des questions existentielles pour la démocratie indienne. Même les talents cinématographiques qui souhaiteraient privilégier la nuance narrative se retrouvent contraints de se plier aux exigences de la propagande ambiante.
Le coût de cette stratégie de la haine dépasse le cadre culturel. En attisant les divisions internes et en exportant une image d’intolérance, l’Inde risque de s’isoler diplomatiquement et économiquement, transformant un pays jadis célébré pour sa diversité en une nation rongée de l’intérieur par ses propres démons historiques.