Chaque année, des milliers de mineurs passent devant le tribunal pour enfants en France ; le tribunal de Bobigny illustre les défis de la justice des mineurs en cherchant l’équilibre entre sanction et accompagnement éducatif pour prévenir la récidive.
Au tribunal pour enfants de Bobigny, un microcosme de la délinquance juvénile
Bobigny, en Seine‑Saint‑Denis, accueille le plus grand tribunal pour enfants de France. Pour 16 juges, ce sont 2 700 mineurs poursuivis chaque année pour outrages, vols, dégradations, violences et autres infractions jugées entre ces murs. Le lieu met en lumière non seulement les jeunes auteurs d’infractions mais aussi les familles et les professionnels qui les accompagnent.
Dernière minute avant l’audience, un prévenu de 16 ans que la rédaction nomme Thomas revient sur les faits : « Je suis au tribunal aujourd’hui parce qu’avec mes amis, on a essayé de taper quelqu’un. C’est parce que cette personne avait essayé de frapper un pote à moi. Et moi, ça m’a touché, et c’est tout. » Thomas est accusé d’avoir pris part à une rixe il y a un an et d’avoir porté un coup au visage d’un autre mineur de 15 ans.
C’est sa première affaire. La juge pour enfants qu’il va rencontrer avec son avocate pourrait, selon les éléments présentés, le condamner à un an et demi de prison ferme. Pendant 30 minutes, Thomas s’explique devant la magistrate, qui interroge sa prise de responsabilité et son empathie vis‑à‑vis des victimes : « Je pense qu’il y a une vraie méconnaissance de ce qu’est le traumatisme. Les victimes, quand vous les écoutez, ce sont des événements qui vont les marquer toute une vie… Je vois bien qu’il y a un début de chemin qui a été fait sur votre responsabilité, mais il n’est fait qu’à moitié. »
L’éducatrice présente au dossier explique que Thomas a manqué deux rendez‑vous sur quatre, tout en montrant une volonté d’évolution : « C’est un jeune qui reste quand même dans les échanges. Je n’ai pas vu de problème de comportement ou d’opposition. Sur sa réflexion sur les faits, il porte en tout cas une certaine responsabilité. Il sait comment il aurait pu éviter cette situation‑là. » Ces éléments sont pris en compte par la juge au moment de décider de la sanction.
Accompagner plutôt que réprimer : pratiques et chiffres au tribunal de Bobigny
Après 30 minutes d’audience, la décision rendue pour Thomas combine sanction et suivi éducatif : il est condamné à un stage de citoyenneté et à un suivi avec son éducatrice une fois par mois pendant un an et demi, dans l’objectif d’éviter la récidive. Son stage de citoyenneté est prévu en octobre et, depuis le jugement, il a assisté à chacun de ses rendez‑vous.
Éduquer et accompagner plutôt que réprimer constitue un pilier de la justice des mineurs à Bobigny. Johanna Belac, juge pour enfants depuis cinq ans, insiste : « Il n’y a pas meilleure solution pour sortir des adolescents de la délinquance… Quand on privilégie l’éducatif et qu’on a des éducateurs pour le faire, c’est ce qui fonctionne dans la majorité des cas. »
Pour autant, la prison n’a pas disparu des réponses judiciaires : en un an, les juges pour enfants de Bobigny ont envoyé 133 mineurs en détention. Myrtis Vinas‑Roudières, également juge pour enfants, rappelle que la détention demeure un dernier recours : « Intuitivement, on peut penser qu’il faut être très sévère, mais ce n’est pas parce qu’un mineur est emprisonné que le problème est réglé… Quand on est en prison, c’est déjà trop tard. »
Le même jour qu’a comparu Thomas, un autre mineur de 15 ans était jugé pour la première fois pour des faits graves — menaces au couteau, violences et racket. La magistrate, qui connaît l’adolescent et sait qu’il a été victime de violences intrafamiliales depuis son enfance, a opté là encore pour un stage de citoyenneté et un suivi éducatif et psychologique. Le dossier rappelle le double rôle de la justice des mineurs : protéger les victimes et sanctionner les actes. En cas de récidive, l’adolescent encourt jusqu’à 3 ans et demi de prison ferme.
La coopération entre magistrats, éducateurs et professionnels de santé apparaît comme un élément central des décisions rendues à Bobigny, visant à proposer une sanction mesurée et un soutien concret pour rediriger ces jeunes vers le droit chemin.