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Le marché Al-Manakhilya, niché dans la vieille ville de Damas, porte un nom qui respire à la fois l’artisanat ancien et l’esprit du lieu. Il semble né des ruelles étroites où flottent l’odeur du bois humide et le martèlement des outils, comme une mélodie de patience et de savoir-faire. À l’origine dédié à la fabrication des cribles et tamis, ce marché a longtemps été l’épine dorsale d’une vie rythmée par l’agriculture et le commerce.
Chaque pièce sortie des ateliers raconte l’histoire d’une main qui a appris la précision et la persévérance. Le marché a évolué sans perdre son âme : il est devenu un espace vivant de mémoire collective où les objets conservent la trace des gestes et des générations.
Histoire qui s’étend sur des siècles
Le marché Al-Manakhilya remonte à plus de dix-huit siècles, comme une fresque de pierre que les époques lisent et modifient. Autrefois, il tenait le rôle d’artère commerciale reliant le cœur de Damas à ses périphéries et aux caravanes venues des plaines de la Ghouta, des rives du Barada et des pentes du Qalamoun.
Dans ses ruelles pavées, les caravanes laissaient des traces quotidiennes : bois, céréales, peaux. Les appels des marchands composaient une liturgie du marché ancien, tandis que les échanges se faisaient souvent sur des tables en bois, mêlant monnaie cuivre et argent et chaleur humaine.
Au fil des siècles et des dynasties, le marché a su traverser les changements sans se soumettre complètement aux modes. Sous l’Empire ottoman, il connut une phase d’expansion : ses venelles s’élargirent et ses boutiques se firent plus nombreuses, transformant le lieu en un véritable quartier au sein de la cité.
De génération en génération, le marché est resté une mémoire vivante. Il s’est adapté, tout en conservant sa senteur d’antique et sa voix particulière, témoignant de la résilience de Damas face au passage du temps.
Un artisanat ancré dans l’éthique
Al-Manakhilya n’était pas seulement un lieu d’échange de marchandises ; il était une école de valeurs. Entre les façades en bois et les ruelles serrées, s’est forgée une culture où le métier dépasse la simple activité économique pour devenir une forme de dignité.
Plusieurs principes guidaient la vie du marché :
- La solidarité : les commerçants partageaient les ressources et se recommandaient mutuellement les clients.
- L’honnêteté : la confiance du client primait sur le gain rapide, et la parole du marchand valait plus que la simple transaction.
- La transmission : chaque apprentissage était l’occasion de transmettre un savoir-faire et une éthique du travail.
Ces valeurs ont façonné une communauté où l’artisanat est perçu comme une vocation. Le geste précis et la patience constituaient le caractère même de la production : tamis, cribles ou outils sortaient des mains accompagnés d’un sens profond de responsabilité envers les clients et la tradition.
Les monuments qui entourent le marché
Le marché Al-Manakhilya est ceinturé d’édifices historiques qui renforcent sa solennité et rappellent la continuité du lieu. À chaque coin, l’empreinte du sacré et de la vie sociale se croise avec l’activité commerciale.
Parmi les monuments proches :
- La mosquée az-Zahir, dont le minaret se dresse comme un doigt de lumière au-dessus des toits, mêlant l’appel à la prière aux bruits du marché.
- Le hammam Samy al-Othmani, refuge des corps fatigués et lieu d’échanges où les récits du quartier se transmettaient autour de la vapeur.
- Le minaret de la mosquée Sinan Agha, vieux de six siècles, qui porte la mémoire des bâtisseurs et le son du muezzin à travers les âges.
- La grande mosquée al-Midalla, veillant sur les ruelles tortueuses et les allées, témoin des jours et des nuits du quartier.
Ces repères ne sont pas de simples monuments ; ils sont des points d’ancrage spirituels et émotionnels. Leur proximité confère au marché une aura particulière, comme si commerce et dévotion se répondaient jour après jour.
Le marché aujourd’hui
Malgré les vents du changement et les projets d’urbanisme menaçants, le marché Al-Manakhilya reste debout au cœur de la vieille ville. Ses ruelles continuent d’accueillir les artisans et les petites échoppes qui ont résisté à l’effacement.
Ces dernières années, les habitants ont répondu au danger d’effacement par une mobilisation concrète :
- Rénovation artisanale des boutiques et consolidation des murs anciens.
- Réparation des toitures métalliques en arc pour protéger les allées des intempéries.
- Initiatives locales pour préserver le commerce traditionnel sans attendre uniquement des initiatives institutionnelles.
Le marché a retrouvé un nouvel élan, restituant la vitalité d’autrefois. Promeneurs et clients y croisent visages anciens et jeunes, tandis que l’odeur du bois, du métal et de la peinture fraîche se mêle aux rires des enfants.
Vie quotidienne et défis
Le marché bat au rythme des actions quotidiennes : ouverture aux premières lueurs du jour, appels des vendeurs et résonance des outils. Cette activité relie constamment présent et passé.
Pourtant, plusieurs défis persistent :
- La pression urbaine : la modernisation menace l’échelle humaine des ruelles.
- La concurrence des produits industriels : les objets faits main peinent à rivaliser en prix et en disponibilité.
- L’adaptation commerciale : certaines boutiques modifient leurs modes de vente pour survivre, parfois au prix de traditions anciennes.
Malgré ces contraintes, le marché Al-Manakhilya conserve une singularité. Son identité tient moins aux pierres qu’à la mémoire collective de ceux qui l’habitent : artisans, commerçants et voisins tissent une résistance tranquille.
Le soir, quand les portes en bois se ferment, le marché respire autrement : il conserve la chaleur du jour et attend le prochain matin, fidèle à sa vocation. Ceux qui s’y aventurent aujourd’hui parcourent plus qu’un marché : ils traversent un vestige vivant où passé et présent se rencontrent, et où la tradition garde sa place face au tumulte du monde moderne.