Home ActualitéPolitiqueBangladesh : le BNP se détache de Jamaat et revendique le libéralisme

Bangladesh : le BNP se détache de Jamaat et revendique le libéralisme

by Sara

Le Bangladesh traverse une réorientation politique majeure : le Bangladesh Nationalist Party (BNP), principal parti d’opposition du pays, se détache désormais de l’alliance historique qui le liait à la Jamaat-e-Islami et se présente comme une force libérale et démocratique à l’approche des élections nationales. Cette inflexion intervient seize mois après la chute de l’ancienne Première ministre Sheikh Hasina, renversée à la suite d’un soulèvement populaire qui a dénoncé quinze ans de dérives autoritaires et d’atteintes aux droits humains, notamment des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées et une répression brutale des manifestations en août 2024.

Le BNP se détache de Jamaat en s’efforçant d’occuper l’espace laïque et nationaliste que l’Awami League avait longtemps revendiqué. Cette stratégie vise à convaincre un électorat urbain et jeune en quête de modération, de pluralisme et de gouvernance démocratique, alors que la scène politique post-Hasina évolue rapidement.

Rupture et mémoire historique

La rupture entre le BNP et la Jamaat-e-Islami n’est pas seulement stratégique : elle puise dans des tensions historiques profondes. Le BNP et la Jamaat s’étaient rapprochés par opposition commune à l’Awami League, mais leurs doctrines différaient depuis toujours : le BNP défendait un nationalisme séculier, tandis que la Jamaat fondait son action sur une identité islamique marquée.

En s’adressant aux partisans cette semaine, le président par intérim du BNP, Tarique Rehman, a invoqué la mémoire sanglante de la guerre de libération de 1971 contre le Pakistan en affirmant que « les gens ont vu » ce qui s’était passé alors. Sans nommer la Jamaat, sa référence a été comprise comme une condamnation implicite : la Jamaat s’était opposée à l’indépendance du Bangladesh.

Le secrétaire général du BNP, Mirza Fakhrul Islam Alamgir, a également mis en garde contre la division du pays « au nom de la religion » et a insisté pour que la politique du BNP se fonde sur l’unité nationale, les principes démocratiques et l’esprit fondateur de 1971.

Pourquoi ce repositionnement maintenant ?

Plusieurs facteurs expliquent la décision du BNP de rompre avec la Jamaat et de revendiquer une identité libérale :

  • Remplir le vide idéologique laissé par l’Awami League, longtemps présenté comme le porte-étendard du laïcisme et du nationalisme.
  • Séduire un électorat urbain et jeune, galvanisé par le soulèvement de 2024 et par une demande accrue de démocratie et de droits civiques.
  • Éviter le handicap électoral que représente l’attachement à un parti islamiste dont l’histoire pèse négativement sur les électeurs recherchant le pluralisme.
  • Reprendre le récit moral de 1971 en dénonçant la collaboration de la Jamaat avec le Pakistan, et ainsi contester le monopole narratif exercé par l’Awami League depuis des décennies.

Ces éléments traduisent une volonté de reconversion idéologique : le BNP ne se contente plus d’être une force centre‑droite opposée à l’Awami League, il aspire à devenir une plateforme démocratique large, capable d’attirer aussi bien d’anciens électeurs de l’Awami League que des libéraux urbains, des minorités et des jeunes politisés.

Désaccords internes et calendrier politique

La rupture n’est pas née d’un seul événement. Depuis plusieurs mois, BNP et Jamaat ont divergé sur des questions essentielles :

  • Les réformes nécessaires avant des élections : la Jamaat exigeait des changements structurels profonds, le BNP plaidait pour des élections rapides.
  • La révision de la Constitution et le modèle politique du post‑Hasina : des visions opposées ont transformé les désaccords tactiques en fracture ouverte.

Avec des élections nationales programmées en février, le BNP mise sur une campagne courte et sur sa nouvelle image pour capter les voix d’un électorat en mutation.

Enjeux, risques et défi d’authenticité

Cette réorientation comporte plusieurs risques et conditions de succès :

  • Scepticisme public : une partie de l’opinion peut percevoir la transformation comme opportuniste plutôt que sincère.
  • Résistances internes : des cadres et militants habitués à l’alliance précédente peuvent s’opposer à l’adoption d’une identité plus libérale.
  • Fragmentation du vote libéral : la concurrence de nouvelles formations politiques et de réseaux de la société civile (par exemple le National Citizen Party et d’autres collectifs citoyens) pourrait diviser l’électorat pro‑démocratie.

Le succès de la manœuvre dépendra de la capacité du BNP à maintenir une ligne idéologique cohérente et à convaincre l’opinion que la rupture avec la Jamaat est fondée sur des principes et non sur un simple calcul électoral.

Un paysage politique en mutation

La scène politique post‑Hasina est profondément transformée : l’Awami League a été interdite et sa dirigeante, Sheikh Hasina, est en exil en Inde. Ces développements ouvrent un espace politique inédit que le BNP tente d’occuper rapidement.

Si la transformation du BNP se confirme, il s’agira d’un réalignement majeur depuis les années 1990 : l’ancien parti de centre‑droite deviendrait le nouveau gardien d’une politique libérale et pluraliste dans un Bangladesh renouvelé.

Pour l’heure, les discours du BNP se veulent inclusifs, anti‑sectaires et tournés vers les réformes démocratiques. Ils sont prononcés haut et fort — mais leur traduction en actes déterminera si ce repositionnement marque une véritable métamorphose ou reste une stratégie tactique à l’approche des urnes.

source:https://www.aljazeera.com/news/2025/12/9/analysis-bangladeshs-bnp-seeks-hasinas-liberal-mantle-before-elections

You may also like

Leave a Comment