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Le dossier Boualem Sansal empoisonne les relations entre Paris et Alger, avec un dénouement qui pourrait redessiner durablement les rapports entre les deux capitales. À 80 ans, l’écrivain franco-algérien, affaibli par un cancer de la prostate et près de 220 jours de détention, doit comparaître une nouvelle fois devant la cour d’Alger, ce mardi 24 juin, dans le cadre de son procès en appel. Initialement prévue le 20 mai, l’audience a été reportée « à la demande de l’intéressé, pour lui laisser le temps de constituer sa défense », selon le bâtonnier d’Alger.
Contexte et condamnation
Arrêté le 16 novembre à sa descente d’avion dans la capitale algérienne, le romancier a été condamné quatre mois plus tard à une lourde peine : cinq ans de prison ferme et une amende de 500 000 dinars (environ 3 500 euros). Ce verdict est deux fois moins élevé que les réquisitions du parquet formulées une semaine plus tôt. Il était notamment poursuivi pour « atteinte à l’unité nationale » et « outrage à corps constitué » après avoir défendu, dans les colonnes du média d’extrême droite « Frontières », l’idée selon laquelle la colonisation française avait privé le Maroc d’une partie de son territoire au profit de l’Algérie, une ligne rouge pour le régime algérien.
Conditions de détention
Depuis plus de sept mois, l’homme aux longs cheveux gris alterne entre une cellule de 9 mètres carrés à la prison de Koléa et l’unité de soins de l’hôpital Mustapha-Pacha d’Alger, où il suit un lourd traitement anticancéreux. Ces dernières semaines, il séjournerait plus régulièrement dans ce pavillon réservé aux détenus atteints de pathologies graves. Il y bénéficierait de conditions de prise en charge « plutôt correctes » et conserverait un certain optimisme à l’approche de son procès en appel, selon une source proche du dossier.
Accès à la défense limité
Ses visites restent toutefois rares : seule son épouse est autorisée à le voir, environ une fois toutes les deux semaines. L’accès à sa défense demeure également largement limité. Son avocat français, Me François Zimeray, n’a jamais obtenu de visa pour se rendre en Algérie et fait l’objet d’une campagne de dénigrement aux relents antisémites dans une partie de la presse algérienne. Privé de son soutien, le romancier bénéficie de l’assistance d’avocats algériens désignés d’office, mais la nature de leurs échanges reste opaque. « Nous n’avons aucune nouvelle directe de Boualem Sansal, nous sommes dans le noir total car il est quasiment impossible de lire les intentions du régime algérien », déplore Jean-François Colosimo, l’un de ses éditeurs.
Impact sur les relations franco-algériennes
Le dossier Boualem Sansal pèse lourdement sur les relations franco-algériennes, déjà dégradées depuis qu’Emmanuel Macron a reconnu, en juillet, la souveraineté marocaine sur le territoire disputé du Sahara-Occidental. Depuis l’arrestation de l’écrivain, Paris ne cesse de dénoncer une atteinte inacceptable à la liberté d’expression, tandis qu’Alger considère ces critiques comme une ingérence, exacerbant le climat de méfiance entre les deux pays. « La coopération est au point mort dans tous les domaines », assure une source diplomatique française, qui parle d’une « rupture de fait » de la relation.
Appels à la clémence
Au cours des derniers mois, Emmanuel Macron a appelé à plusieurs reprises son homologue Abdelmadjid Tebboune à faire un « geste d’humanité » envers Boualem Sansal, rappelant son âge avancé et sa santé fragile, en lui accordant une grâce présidentielle. Or, cette mesure exceptionnelle ne s’applique généralement qu’à l’issue d’une condamnation définitive. Le verdict du procès en appel est attendu le 1er juillet, soit quatre jours avant la fête de l’indépendance de l’Algérie, moment où le chef de l’État gracie traditionnellement des milliers de détenus. Une lueur d’espoir pour ses proches, d’autant qu’un avocat français devrait être présent à l’audience de mardi pour légitimer la procédure judiciaire.
Réactions du régime algérien
Alger répète que l’affaire Sansal relève strictement de la souveraineté nationale. Abdelmadjid Tebboune a qualifié l’écrivain d’« imposteur envoyé par la France », en rappelant qu’il est « d’abord Algérien depuis soixante-quatorze ans », avant d’avoir récemment acquis la nationalité française. Sans un geste de clémence du chef de l’État algérien, les proches de l’écrivain redoutent qu’il ne meure en prison. Une issue que Paris jugerait impardonnable : « Ce serait un événement nucléaire et atomique dans les relations franco-algériennes », conclut une source diplomatique.