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Prora, située sur l’île de Rügen en bordure de la mer Baltique, est une station balnéaire qui porte les marques d’une histoire complexe et lourde. Conçue en 1936 sous le régime nazi, cette immense structure fut initialement destinée à offrir une destination de vacances aux travailleurs allemands, mais uniquement aux « aryens ». Aujourd’hui, elle a été transformée en un complexe hôtelier moderne, symbole d’une réinvention audacieuse.
Une station balnéaire au passé chargé
En 1936, Adolf Hitler confie à l’architecte Clemens Klotz la mission de bâtir une station balnéaire pour les travailleurs allemands, exclusivement réservée à la population aryenne. Ce projet, sous l’égide de l’organisation Kraft durch Freude (KDF), ou « Le Travail par la joie », se traduit par la construction d’une barre monumentale de plus de 4 kilomètres qui longe la plage. Cette imposante structure, symbole de la mégalomanie du IIIe Reich, devait incarner la puissance du régime nazi tout en offrant un lieu de détente aux masses laborieuses « choisies ».
Avec ses dimensions colossales, Prora reste aujourd’hui un témoignage architectural saisissant d’une époque marquée par l’idéologie totalitaire et les discriminations raciales.
De l’après-guerre à la réunification allemande
Après la Seconde Guerre mondiale, le site de Prora tombe sous contrôle communiste. Il est alors réaffecté et devient le siège d’une antenne de la Stasi, la police secrète est-allemande, illustrant un nouveau chapitre politique et idéologique. Le bâtiment, chargé d’une histoire douloureuse, est laissé à l’abandon à la chute du bloc soviétique, soulevant de nombreuses interrogations sur son avenir.
La question centrale demeure : comment gérer cet héritage architectural et historique marqué par la violence et la discrimination ? Ce débat révèle encore aujourd’hui les tensions et tabous liés à la mémoire allemande et à la réconciliation nationale.
La renaissance moderne de Prora
En 2018, Prora obtient officiellement le statut d’« Ostseebad », signifiant « station thermale ». Ce label célèbre la transformation du lieu, désormais doté d’un complexe hôtelier moderne et luxueux. Le site propose des résidences haut de gamme équipées de spas, des panoramas spectaculaires sur la mer Baltique, ainsi qu’une plage privée protégée par une réserve ornithologique. La baie de Prorer Wiek, considérée comme « magique » par les visiteurs, souligne la beauté naturelle du lieu.
Ce renouveau est le fruit d’un réaménagement entrepris au début des années 2000 par un promoteur audacieux qui a choisi de miser sur ce site, malgré son passé difficile. Cette métamorphose s’apparente davantage à une réinvention qu’à une simple construction, intégrant l’histoire tout en offrant un cadre moderne et accueillant aux touristes.
Un éclairage historique avec Christian Ingrao
Christian Ingrao, historien spécialiste du nazisme et directeur de recherche au CNRS, apporte un éclairage essentiel sur le contexte et les enjeux liés à Prora. Ses travaux, notamment Le soleil noir du paroxysme. Nazisme, violence de guerre, temps présent (2021) et Le monde nazi (1919-1945) (2024), coécrits avec Johann Chapoutot et Nicolas Patin, permettent de mieux comprendre la portée symbolique de ce site et les défis soulevés par sa réhabilitation.