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Des Kogis en France : une rencontre inédite avec l’écologie et le territoire
Une étrange délégation a parcouru la Drôme à la fin de l’été, en septembre 2018. Quatre Kogis, membres d’un peuple autochtone originaire du nord de la Colombie, ont traversé les routes du Haut-Diois, sous le regard fascinant d’une trentaine de scientifiques. Accompagnés de leur traducteur, ces trois « chamanes » ont été invités à réaliser un « diagnostic du territoire ». Leur quête les a conduits à observer attentivement, poser des questions et évaluer l’environnement local. Face à un captage de source protégé par des barbelés, ils ont exprimé leur indignation : « Qui a décidé de prendre toute l’eau pour lui ? Si les renards et les cerfs ne peuvent plus boire, il n’y aura plus de forêt ! »
Un pont entre les cultures
Leur visite dans la Drôme a été rendue possible grâce à Éric Julien, invité au Parlement des Liens, un événement organisé par les éditions Les Liens qui libèrent et Libération à Uzès, le 28 septembre. « Ils sont venus chez nous et ils nous ont appris notre territoire. Ce n’est quand même pas banal ! », s’enthousiasme ce géographe devenu consultant. En 1985, il avait été sauvé d’un œdème pulmonaire par les Kogis lors d’une expédition dans la Sierra Nevada de Santa Marta, et depuis, il joue le rôle de passeur culturel. « La présence des Kogis dans la Drôme a permis de poser trois questions essentielles : ont-ils des connaissances sur un territoire qu’ils ne connaissent pas ? Que pouvons-nous apprendre d’eux ? Et, enfin, notre paradigme scientifique est-il capable d’échanger avec ces personnes que nous avons souvent ignorées ? »
Un échange enrichissant
Les échanges culturels avec les Kogis vont bien au-delà d’une simple curiosité. En 2023, Éric Julien a amené une nouvelle délégation de scientifiques en territoire kogi. Parmi eux, Cédric Villani, ancien député, désormais conseiller à la mairie de Paris et fervent défenseur de l’écologie après avoir vécu le confinement. Fasciné par cette « rencontre prolongée avec une culture orale, qui voit le monde de manière holistique et interconnectée », Villani a été confronté à des réflexions profondes. Au contact des Kogis, il a réalisé que leur définition du savoir diffère de la sienne : « Pour les Kogis, un savoir, c’est ce qu’un cerveau humain peut retenir et surtout raconter. »
La mémoire culturelle
Ce moment de découverte a laissé Villani avec un sentiment de sidération face à la complexité de la société moderne. Il souligne l’importance accordée par les Kogis à la réflexion avant l’action, un principe qu’il tente également d’intégrer dans sa propre vie. Lors d’une cérémonie d’adieu, il a exprimé sa gratitude envers les Kogis, soulignant leur capacité à ouvrir de nouveaux horizons de pensée.
Une redécouverte du passé
Quelques mois après cette expérience, Céline Leandri, archéologue ayant fait partie de l’expédition en Colombie, a accompagné les Kogis lors de leur exploration d’un site archéologique en Corse. Sa rencontre avec ce peuple a été révélatrice : « C’est comme si les hommes d’il y a quatre mille ans revenaient nous parler. » Plutôt que d’examiner les vestiges archéologiques, les Kogis ont étudié l’environnement et ses interactions, proposant une interprétation qui relie les pierres aux énergies du lieu. Leur vision offre une perspective enrichissante sur la façon dont nous pouvons comprendre et préserver notre territoire.
Un dialogue nécessaire
L’ethnologue Marin Schaffner, à travers le collectif Hydromondes, a cherché à diagnostiquer l’état de santé des territoires vivants. En explorant les méthodes des Kogis, il a constaté une convergence dans leur approche du diagnostic territorial. Schaffner insiste sur la nécessité d’une déconstruction des conceptions traditionnelles afin de redécouvrir la vitalité des territoires. Son voyage en Colombie a confirmé l’importance de la coopération interculturelle et de l’égalité dans le dialogue avec les savoirs indigènes.
Repenser notre rapport à la nature
Il ne suffit pas d’enfiler de nouvelles lunettes pour résoudre les problèmes environnementaux actuels tels que les émissions de gaz à effet de serre ou l’érosion de la biodiversité. Cédric Villani évoque la nécessité d’un héros qui sait se battre pour réconcilier l’humanité avec la nature, tandis que Marin Schaffner met l’accent sur l’émergence des voix des territoires vivants. Ces expériences de dialogue avec les Kogis nous rappellent l’importance d’écouter et d’apprendre des savoirs indigènes pour envisager un avenir plus durable.
Le Parlement des Liens à Uzès
Chaque année, le Parlement des Liens organise un forum à Uzès, associant habitants, universitaires et scientifiques pour discuter des enjeux territoriaux. Cet événement vise à favoriser la participation active des citoyens et à renforcer la culture politique de l’engagement autour de questions cruciales telles que l’environnement et le développement durable.