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La paix mondiale à l’ère du vieillissement démographique

by Sara
France, Chine, Japon

Le vieillissement démographique transforme profondément les sociétés et, selon plusieurs études, pourrait réduire le risque de guerre entre États en limitant à la fois les capacités économiques, militaires et l’appétence des populations pour le conflit.

Vieillissement démographique et réduction des conflits interétatiques

La grande majorité des pays vit une « révolution démographique » : faibles taux de fécondité et espérance de vie élevée ont entraîné une hausse marquée de la part des 65 ans et plus et une augmentation de l’âge médian. En 1950, environ 5 % de la population mondiale était âgée de 65 ans ou plus ; en 2021, ce chiffre avait presque doublé. Même si les taux de fécondité restaient stables à leur niveau de 2022 — scenario peu probable — les Nations unies estiment qu’en 2050, la part des 65 ans et plus aura plus que triplé. Plus de 40 pays enregistrent déjà une baisse de leur population et, d’ici à 2050, près de 90 pays verront leur population diminuer d’une année sur l’autre.

Ces mutations démographiques s’accompagnent d’un effet sur la conflictualité internationale. Bien que le nombre de conflits violents initiés par des États ait presque doublé entre 2012 et 2022, la violence interétatique reste largement concentrée dans des États à population jeune. Entre 2012 et 2023, le pourcentage moyen de 65 ans et plus parmi les principaux États à l’origine de conflits violents était d’environ 5 %, soit près de la moitié de la moyenne mondiale en 2024.

“La violence interétatique est largement limitée aux pays dont la population est jeune.”

Impact économique d’ici à 2050

Le vieillissement freine la croissance économique en réduisant la population en âge de travailler (15-64 ans), en ralentissant la productivité et en comprimant la demande intérieure. La population en âge de travailler devrait diminuer d’environ 17 % en Europe et de 24 % en Asie de l’Est d’ici à 2050 par rapport à 2020. Entre 2020 et 2050, la baisse projetée est de 28 % au Japon, de 23 % en Chine, de 19 % en Russie et de 17 % en Allemagne.

La structure par âge de la main-d’œuvre joue un rôle clé : la part des 40-49 ans (tranche d’âge historiquement très productive) doit décroître dans de nombreux pays. Entre 2020 et 2050, cette part reculera de 10 % en Russie, de 15 % au Japon et de 18 % en Chine. Ces évolutions pèsent sur la productivité et limitent la capacité des États à financer des objectifs extérieurs coûteux.

L’exemple japonais illustre l’interaction entre innovation technologique et démographie : malgré le boom des technologies de l’information à la fin des années 1990, la productivité totale des facteurs n’a augmenté que de 1 % entre 1995 et 2005, alors que la cohorte des 40-49 ans a chuté de 29 % entre 1995 et 2005 après avoir atteint son apogée en 1991. Par ailleurs, la faiblesse de la demande interne liée au vieillissement a contribué, entre autres facteurs, à l’effondrement du marché immobilier chinois : la tranche d’âge la plus susceptible d’acheter des logements (les personnes d’environ 30 ans) a chuté de 30 % depuis 2020, entraînant une forte baisse de la demande.

Dépenses publiques, sécurité intérieure et arbitrages budgétaires

Le vieillissement accroît sensiblement les obligations financières des États : analystes et modèles prévoient que les dépenses publiques consacrées aux retraites, à la santé et aux soins de longue durée pourraient atteindre environ 25 % du PIB d’ici à 2050 dans de nombreux pays développés. La Chine, par exemple, a vu sa part des dépenses consacrées aux retraites et à la santé passer de 4,4 % du PIB en 2009 à 8 % en 2020 ; elle devrait dépasser 10 % en 2030 et atteindre environ 20 % en 2050.

Les gouvernements allouent aussi des ressources pour stimuler la fécondité : les membres de l’OCDE consacrent en moyenne 2,3 % du PIB à des programmes en faveur des enfants et des familles. Parallèlement, les besoins croissants en matière de sécurité intérieure et de programmes sociaux pour apaiser les tensions imposent d’autres prélèvements budgétaires. Entre 2007 et 2020, la Chine a quadruplé ses dépenses de maintien de l’ordre et de surveillance intérieure ; en 2020, ces dépenses ont même dépassé les dépenses militaires. Au Japon, les dépenses de soutien à l’emploi et de lutte contre la pauvreté (hors dépenses liées à la vieillesse et à la santé) sont passées de 0,5 % à 3,7 % du PIB entre 1990 et 2020.

“Dès que les dépenses publiques en protection sociale dépassent 25 % du budget national, la probabilité que le pays initie un conflit militarisé chute de manière significative.”

Confrontés à des pressions budgétaires croissantes, les États auront des incitations fortes à arbitrer en faveur des dépenses sociales plutôt que militaires, ce qui devrait réduire la propension à déclencher des conflits extérieurs.

Effectifs militaires, technologies et opinion publique à l’horizon 2050

Le vieillissement réduit aussi les réservoirs de recrutement. En 2050, l’Asie de l’Est comptera près de 48 millions de jeunes de 18 à 23 ans de moins qu’en 2020 (‑42 %), l’Amérique latine près de 9 millions de moins (‑13 %) et l’Europe un peu plus de 8 millions de moins (‑17 %). Ces baisses compliquent le maintien d’armées nombreuses et qualifiées.

Le recrutement montre déjà des limites : entre 2000 et 2021, le Japon a, en moyenne, pourvu 93 % des postes disponibles dans son armée. La Chine, malgré l’assouplissement des critères et une hausse sensible des rémunérations après 2009, souffre d’une pénurie de soldats qualifiés. Dans les années 2010, la Russie a régulièrement échoué à atteindre ses objectifs de recrutement. Le recours accru aux technologies — intelligence artificielle, essaims de drones, systèmes non pilotés — pourrait partiellement compenser la baisse des effectifs, mais de nombreuses missions (contre‑insurrections, occupations) continueront d’exiger des forces nombreuses et humaines, et la maintenance et l’emploi de systèmes sophistiqués exigent aussi des personnels hautement qualifiés.

“Dans un monde vieillissant, il sera très difficile de trouver des soldats hautement qualifiés.”

Opinion publique vieillissante et pression contre la guerre

Les données d’opinion montrent un fossé générationnel sur l’usage de la force. Une étude du Pew Research Center (2006) relève qu’ »il existe un fossé générationnel à propos des interventions militaires américaines », les Américains les plus âgés étant constamment « les plus méfiants quant à l’usage de la force ». Des recherches menées par Jessica Chen Weiss arrivent à des conclusions similaires pour la Chine : les citoyens plus âgés sont significativement moins nombreux que les jeunes à estimer que la Chine s’appuie « trop peu » sur la puissance militaire ou à vouloir « envoyer des troupes et ne pas reculer devant un combat ».

Les populations vieillissantes manifestent également une plus grande aversion aux pertes humaines, d’autant que la mort de jeunes peut aggraver le déclin démographique. En Chine, la faible fécondité a déjà créé des centaines de milliers de familles ayant perdu leur unique enfant (_shidu_), qui ont manifesté chaque année devant la Commission nationale de la santé et du planning familial à Pékin pour réclamer des compensations. À mesure que les dirigeants craindront des réactions intérieures, ils seront plus prudents avant d’engager des aventures militaires coûteuses en vies humaines.

Le vieillissement démographique ne supprimera pas la guerre — l’invasion de l’Ukraine en 2022 en apporte la preuve — mais il pèsera durablement sur ce qui est économiquement et militairement possible. En réduisant la croissance, en comprimant les budgets et en modifiant les opinions publiques, la révolution démographique pourrait devenir une force de pacification sans précédent historique.

Mark L. Haas est professeur de science politique à l’université Duquesne et a publié The Geriatric Peace : Population Aging and the Decline of War (Oxford University Press). Cet article est paru en version originale dans la revue Foreign Affairs. © 2025 Foreign Affairs. Distributed by Tribune Content Agency.

source:https://www.lexpress.fr/idees-et-debats/plus-de-seniors-moins-de-guerres-cette-pax-geriatrica-a-venir-par-mark-l-haas-GNLVLE4TFVD3TKD3QWTZJLX3BQ/

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