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Dans un monde où l’alignement idéologique semble primer sur la recherche de la vérité, il est essentiel de s’interroger sur les mécanismes qui poussent intellectuels et artistes à défendre des croyances parfois contraires aux faits. Samuel Fitoussi explore ces questions dans son ouvrage Pourquoi les intellectuels se trompent, un essai percutant qui invite à une réflexion profonde sur nos propres biais et la pression sociale qui influence nos convictions.
Les paradoxes de l’intellectuel face à l’idéologie
Pourquoi des penseurs brillants comme Bertolt Brecht, George Bernard Shaw, Roland Barthes ou Louis Aragon ont-ils pu justifier des atrocités au nom d’idéologies comme le communisme ? Comment expliquer que lors de la conférence de Wannsee, où fut organisée la « solution finale » contre les Juifs, une majorité des participants possédait un doctorat ? Ces paradoxes soulèvent de nombreuses questions :
- Pourquoi plus on accumule de savoir, moins on adopte une position centriste ?
- Quels biais façonnent nos convictions ?
- Pourquoi la peur de l’exclusion sociale l’emporte-t-elle souvent sur la recherche de la vérité ?
- Comment les intellectuels peuvent-ils persister dans des erreurs lourdes de conséquences sans perdre leur statut ?
Samuel Fitoussi propose des réponses argumentées dans son essai, soutenu par une documentation rigoureuse et une volonté sincère d’ouvrir le débat. Son ouvrage est une invitation à résister à la tentation du conformisme et du « like » facile.
La vérité : un prix social élevé
La vérité coûte souvent cher sur le plan social, bien plus que l’alignement avec les idées dominantes d’un groupe. Comme le souligne Fitoussi, « nous ne sommes pas les descendants de Copernic ni de Galilée, mais de la foule vertueuse qui les condamnait ». Admettre une erreur, changer d’avis, c’est prendre le risque d’être marginalisé.
Un exemple marquant est la couverture médiatique du génocide cambodgien dans les années 1970 en France. La presse, fidèle à ses choix idéologiques, refusait de reconnaître les faits, préférant un récit fantasmé. Le psychanalyste Pierre Bayard explique que l’aveu du désenchantement est une opération mentale coûteuse, impliquant une profonde remise en question de son image de soi.
L’exemple de Simon Leys et le poids des convictions
Simon Leys, premier à dénoncer les horreurs du maoïsme, a subi l’ostracisme intellectuel. Il écrivait avec ironie : « Il faut vraiment être un intellectuel supérieur pour dire au sens propre N’IMPORTE QUOI, pour ne pas voir que la pluie mouille et qu’une pierre est dure. » Cette phrase illustre bien notre tendance à percevoir la réalité uniquement à travers le prisme de nos croyances, même si elles sont erronées.
L’économiste Thomas Sowell note que, face à la diminution réelle de la discrimination, certaines institutions ont élargi la définition même de celle-ci pour justifier leur existence. Ainsi, aux États-Unis, 61 % des associations populaires des années 1940 ont dû étendre leur champ d’action, parfois au détriment de l’efficacité.
Une université façonnée par l’identité et le ressentiment
Depuis plusieurs décennies, les universités encouragent les étudiants à associer leurs opinions à leur identité, dans un contexte de faible pluralisme et de peur des conséquences sociales d’un débat ouvert. Cette dynamique produit des intellectuels emprisonnés dans leurs ressentiments, nourris par l’idée que tout est une construction sociale.
La lecture conjointe de Pierre Bourdieu et Annie Ernaux inculque une méfiance viscérale envers les réussites humaines, jugées suspectes. Cela conduit à une posture de dénonciation et de rejet des acquis civilisationnels, parfois jusqu’à leur destruction.
Penser contre la crétinerie collective
Samuel Fitoussi conclut en citant Raymond Aron, qui rappelait la fragilité de la « civilisation » : « Trop d’événements ont révélé la précarité de ce que l’on appelle ‘civilisation’. Les acquisitions les plus assurées en apparence ont été sacrifiées à des mythologies collectives. » Face à cette réalité, il ne reste que le courage de penser librement, même contre la majorité, pour éviter la dérive vers une bêtise collective.
Abnousse Shalmani, engagée contre l’obsession identitaire, est écrivain et journaliste.