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L’incroyable résilience de Luca : courir après son accident à Annecy

by Sara
France

À Annecy, Luca, amputé de la jambe gauche à quinze ans, poursuit une quête qui dépasse la simple performance. Son courage et sa résilience alimentent une épopée de trail autour du lac, où chaque foulée raconte une reconstruction personnelle et sportive. Ce reportage suit son parcours au sein d’une équipe de para-trail, entre doute, douleur et joie partagée, sur fond de Défi et d’amitié indéfectible.

C’est parti dans la nuit

À 2h15 du matin, les «élites» s’élancent sous des fumigènes, et bientôt c’est au tour de Sarah et Luca de prendre le départ. Je tente de reconnaître leurs visages dans l’abondance des participants, scrutant les mollets chaussés de carbone et les tenues d’effort. Luca appelle, et c’est parti. Nous avançons dans la nuit, entourés de mille petites lumières, une cycliste muni d’un système son et de fanions injonctifs glisse à distance et pousse la musique à fond sur la route.

Luca confie qu’il va «à peu près bien» mais qu’il est sous antibiotiques et ne doit pas pousser son cœur au-delà de ses limites, car il lui faut vingt kilomètres et mille mètres de dénivelé positif avant de pouvoir passer le relais. Le doute s’installe, mais sa détermination est palpable, et je me surprends à vouloir suivre son pas, malgré l’obscurité et la vitesse des coureurs qui s’enchaînent.

Luca et Sarah lors de la course nocturne autour du lac d'Annecy

Sur le bord de la route, une mère crie avec ferveur «Allez mon fils! Allez mon fils!», symbole du soutien et de l’émotion qui traversent tout le peloton.

15 ans, pas un âge pour perdre une jambe

Pour Luca, fils unique d’une famille nombreuse, la trajectoire bascule le jour où, à quinze ans, il est fauché par une voiture en sortant à moto. À son réveil du coma artificiel, il ne dispose plus de sa jambe gauche. Ses parents veulent garder l’information pour eux, mais les soignants insistent pour dire la vérité. Deux semaines en soins intensifs, puis deux mois en clinique où il apprend à vivre sans son pilier, alors qu’il était passionné de BMX, de rugby et de football. Pour un ado, perdre une jambe n’est pas anodin et ce n’est certainement pas une étape ordinaire.

Un frère vivant à Montréal comprend vite l’ampleur de la blessure et, voyant son propre parcours, promet d’offrir à Luca une grande course et une aventure partagée. Son retour ne tarde pas, et le lien frère-sœur est dès lors un moteur puissant pour la suite.

Le chemin de la reconstruction

Après la clinique, la vie reprend peu à peu son cours. Une grande course est promise par le frère aîné: l’UTMB, symbolique étape sur laquelle Luca doit se préparer pour accompagner son frère jusqu’à l’arrivée. À mi-parcours, après quatre-vingts kilomètres, le frère craque et songe à abandonner. La mère rappelle que son cadet l’attend près de l’arrivée; la flamme se rallume et, après quatre-vingt-dix kilomètres supplémentaires, les deux frères franchissent la ligne main dans la main, fiers comme des phénix.

Le chemin se dégage: Luca découvre que le snowboard lui offre désormais les plus belles sensations parmi les sports qu’il pratiquait avant son accident. L’entraîneur de l’équipe de France de para-snowboard s’intéresse à son histoire «pas parce que j’étais bon, mais parce que j’étais jeune», selon Luca lui-même.

Courir cinq jours après avoir reçu sa jambe

Le grand frère ne lâche pas prise: Mathieu Blanchard, devenu athlète chez Salomon, annonce à Luca qu’ils peuvent travailler sur une prothèse adaptée. Luca devient ambassadeur de la marque, bénéficie d’un accompagnement et de dotations en produits, avec un petit contrat d’image. En novembre 2022, les deux frères décollent pour le Half Marathon des Sables, dans le désert jordanien de Wadi Rum: 72 km à parcourir en trois jours, sur une lame en carbone, quelques jours seulement après avoir reçu l’appareillage, et dans des conditions extrêmes.

La souffrance est réelle, mais l’élan reste plus fort que la douleur: «Cela commence à devenir crédible, cette histoire de sport de haut niveau».

Feysal lors de la Terrex Maxi Race 2025 autour du lac d'Annecy

Sarah nous dépasse

En montant vers le Semnoz, l’obscurité s’amenuise et les encouragements fusent. Luca doit encore s’arrêter pour sécher et ajuster le manchon prothétique qui maintient la lame sur la cuisse. Certains coureurs, surpris par son handicap, le félicitent. Sarah le dépasse au onzième kilomètre et avance, portée par les encouragements, alors que peu de femmes participent et que Sarah est sans doute la seule sur ce parcours souffrant d’un handicap aussi visible.

Je suis Luca et j’attends son retour; il souffre et sa tête tourne. «Je ne me sens pas dans mon corps», souffle-t-il, avec la douleur et la fatigue qui s’accumulent. Des crampes et des vertiges ralentissent son rythme, mais il remercie ceux qui l’encouragent et reste déterminé à continuer.

«J’ai pas eu besoin de me reconstruire»

Lors d’un premier échange téléphonique quelques semaines plus tôt, Luca semblait estimer que son accident n’avait pas été si dramatique. «Mes parents l’ont plus mal vécu que moi», confie-t-il avec une sagesse stoïque. Il affirme préférer avoir perdu sa jambe à quinze ans que plus tard: l’adolescence était encore en train de s’écrire, et il n’a pas eu besoin d’un travail de reconstruction au sens strict. Aux Jeux Olympiques de Cortina, il sera remplaçant, et dans quatre ans, il pourrait viser les meilleurs.

À l’aube, alors que le Semnoz s’éveille et que les chants d’oiseaux résonnent, Luca pousse sur ses bâtons, prêt à tout donner pour atteindre l’arrivée. Sarah passe près de lui; la mission continue, et la patience devient sa meilleure alliée.

«Ma mère voulait me donner sa jambe»

Eva, 33 ans, raconte une autre histoire de force et de persévérance. Perdre sa jambe droite il y a dix ans, lors d’un accident lié à une situation professionnelle, a conduit à une longue période d’invalidité et un parcours douloureux vers l’acceptation. Amputation du tibia droit, six mois d’hôpital, puis deux années de rééducation et des difficultés financières; Eva avance néanmoins avec une énergie et une curiosité qui marquent ses interlocuteurs.

Autrefois soutenue par sa mère, celle-ci n’a pas souhaité accepter l’amputation. Eva explique qu’elle a dû longtemps se battre pour prendre ses distances et avancer seule, avec le soutien de Louis, son compagnon. «Pour ma mère, ça a été une autre histoire», confie-t-elle, mais elle a rapidement trouvé sa voie: prothèses, course et danse l’ont aidée à se réinventer.

La lumière que dégage Eva

Eva retrouve le goût du trail et des paysages découverts autrement. Patrick Leick, de Salomon, l’aide à rejoindre le circuit Parateam: «Le relais ne faisait que dix-neuf kilomètres, mais sous la pluie, c’était dur.» Sa première course avec l’équipe, l’Ecotrail de Paris, est un symbole fort de renaissance et de réussite partagée. Installée au pied du mont Ventoux, Eva s’entraîne dans des terrains souvent difficiles, où l’énergie nécessaire dépasse de loin celle des coureurs valides. L’épreuve est ardue, mais sa détermination demeure intacte et sa joie est contagieuse.

Enlever son tibia comme une espadrille

Au camp de base, l’équipe célèbre l’ingéniosité humaine et l’audace: des lames d’Airbus utilisées pour des prothèses, conçues en collaboration avec Hopper et l’École des Mines d’Albi. Des essais techniques et des échanges chaleureux montrent comment le trail et l’innovation se mêlent pour offrir des performances accrues. Parmi les membres de l’équipe, Christophe, ingénieur aéronautique amputé d’une jambe, et Jérôme, amputé d’un bras et d’une jambe, partagent des anecdotes et des déplacements sur des terrains escarpés, prouvant que la montagne pousse à se dépasser.

«Quand je me suis mis à la course, ça m’a coûté un bras», plaisante Jérôme, rappelant que chacun porte en lui une part d’impossible à franchir et que le courant passe lorsque l’entraide prend le pas sur l’adversité.

Une maladie orpheline rare

En arrivant aux abords des postes d’accueil, l’équipe est encore à l’œuvre, et Fayçal, porteur de cette maladie rare et d’un parcours hors du commun, est proche de l’arrivée. Fayçal danseur et athlète, a grandi entre Maubeuge et Cluses, et a dû se battre contre la maladie qui a menacé sa jambe dès l’enfance. À 13 ans, il quitte sa ville pour s’installer durablement dans la région, et c’est à chaque étape un combat pour rester debout, danser et courir.

Fayçal-SALOMON-PARA-TEAM lors de la Maxi Race autour du lac d'Annecy

Danser sur une jambe

À 24 ans, Fayçal intègre le monde de la danse et du sport, malgré les traitements et les difficultés. Après des années de rééducation et une amputation en 2018, il devient ambassadeur Salomon et poursuit une carrière mêlant trail et danse, avec pour objectif d’intégrer un jour une troupe artistique ou une comédie musicale. Son parcours inspire et prouve que le handicap peut transformer l’épreuve en moteur de créativité et d’accomplissement.

À travers son histoire, Fayçal affirme qu’il n’y a pas de regrets, et que la danse et le trail lui donnent une liberté retrouvée. Il occupe aujourd’hui un rôle d’éducateur spécialisé et transmet son énergie positive à des jeunes en difficulté, tout en poursuivant son entraînement et ses rêves artistiques.

Pas de regret

À l’heure où Fayçal s’approche de la ligne d’arrivée, son sourire trahit une joie sincère et une énergie qui irradie l’ensemble de l’équipe. Le collectif, soudé, se projette vers les derniers mètres: Eva, Fayçal et les autres athlètes s’apprêtent à franchir la ligne ensemble, dans un geste collectif et symbolique qui scelle une victoire plus grande que le temps.

Sur le chemin du retour, la voix se tait, mais la mémoire reste: la force, le courage et la résilience de chacun, et la démonstration que le trail n’est pas qu’un sport, mais une leçon de vie partagée.

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source:https://www.letemps.ch/articles/perdre-une-jambe-puis-courir-100-kilometres

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