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Trump et l’échec des tarifs : vers un nouvel ordre économique
Le 12 mai, les États-Unis et la Chine ont annoncé la suspension réciproque des tarifs douaniers pour une période de 90 jours. Cette pause, confirmée dans une déclaration conjointe, maintient certains tarifs en place pendant que les négociations commerciales se poursuivent.
Cette décision marque un nouveau recul après l’imposition massive de tarifs par le président américain Donald Trump au début du mois d’avril, mesure qui a déstabilisé l’économie mondiale et provoqué une chute des marchés boursiers.
Malgré ses promesses de faire « exploser » l’économie américaine, il était clair dès le départ que ces mesures ne produiraient pas les résultats escomptés. Une guerre commerciale ne peut améliorer les conditions des travailleurs américains ni ramener l’industrie manufacturière sur le sol national.
Une marche arrière face aux réalités économiques
Face à la chute des prévisions de bénéfices des entreprises et aux signes de contraction du produit intérieur brut (PIB) américain, l’administration Trump semble revenir sur sa stratégie. Cependant, un retour au libéralisme économique sous couvert de « stabilité » n’est pas la solution adéquate.
Le système économique mondial actuel, faussé par des politiques favorisant les plus riches depuis plusieurs décennies, s’est révélé insoutenable. D’où la nécessité d’un nouvel ordre économique mondial qui encourage un développement inclusif et durable, tant dans le Nord que dans le Sud, et qui réponde aux défis socioéconomiques globaux.
La crise de la mondialisation libérale
Les difficultés économiques mondiales actuelles découlent des politiques imposées par les élites du Nord global au cours des 80 dernières années.
Initialement, l’ordre économique post-Seconde Guerre mondiale, inspiré par la vision keynésienne des Alliés, cherchait à concilier commerce, travail et développement pour favoriser une croissance inclusive. Mais dans les décennies suivantes, l’opposition corporatiste aux États-Unis et au Royaume-Uni a fait dérailler cet ordre.
Ce système fut remplacé par un cadre biaisé centré autour des principaux instruments économiques du Nord global : la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), tous deux créés en 1944.
Les transformations des années 1970 et 1980
Dans les années 1970, les élites économiques ont attribué l’inflation et la stagnation à des concessions jugées excessives envers les syndicats, notamment la dépense publique, la force des syndicats et la réglementation. Elles ont alors initié une contre-révolution institutionnelle contre le modèle keynésien de partage du pouvoir et compromis social.
Cette contre-révolution a pris forme dans les années 1980 sous Ronald Reagan aux États-Unis et Margaret Thatcher au Royaume-Uni. Ils ont réduit les impôts des riches, libéralisé les flux de capitaux internationaux, dérégulé le secteur financier, affaibli les syndicats et privatisé les services publics.
Les entreprises américaines ont alors privilégié la délocalisation, l’évasion fiscale, la spéculation immobilière, la financiarisation et les bulles de crédit comme principales sources de profit.
Impact sur les pays en développement
Dans les pays en développement, le FMI, la Banque mondiale et les banques régionales ont poussé à la réduction des dépenses publiques, à la privatisation des entreprises d’État, à la suppression des barrières commerciales et à la déréglementation des marchés, souvent sans prendre en compte les conséquences sociales.
Les années 1980 et 1990 sont ainsi devenues des décennies perdues pour de nombreux pays qui ont adopté une mondialisation radicale. Ces politiques ont provoqué des chocs massifs sur l’emploi, une montée des inégalités, une explosion de la dette et une instabilité financière persistante, de Mexico à la Russie.
Seules les économies d’Asie de l’Est ont réussi à contourner ces contraintes et à intégrer l’économie mondiale selon leurs propres termes.
Les élites occidentales, grands bénéficiaires
Les principales bénéficiaires de ce système furent les élites économiques occidentales. Les entreprises ont tiré profit de la production à bas coût à l’étranger et de la déréglementation domestique. En revanche, les travailleurs occidentaux ont subi la stagnation des salaires réels, la dégradation des protections sociales et une insécurité économique croissante sous la pression de la compétitivité, de la délocalisation et de l’automatisation.
Pourquoi la politique économique illibérale est vouée à l’échec
Pour ceux qui ont étudié l’ordre économique d’après-guerre, il était clair que sans correction des défauts de la mondialisation libérale, une contre-révolution nationaliste et illibérale émergerait.
Cette dynamique s’est manifestée en Europe avec la montée des populismes illibéraux, d’abord en périphérie, puis en force politique majeure sur le continent.
Dans les pays où ils ont accédé au pouvoir, ces mouvements ont adopté des politiques dites développementalistes, mais qui ont surtout favorisé des oligarchies dominées par des élites connectées politiquement, sans réelle transformation structurelle ni innovation.
Le populisme économique de Trump
Les politiques économiques de Trump suivent un chemin similaire de populisme économique et de rhétorique nationaliste. Comme les politiques illibérales en Europe, ses tarifs douaniers n’ont jamais eu pour effet de réindustrialiser les États-Unis ni de mettre fin aux souffrances de la classe ouvrière.
Au contraire, ces tarifs, ou la menace de leur application, renforcent l’avantage concurrentiel de la Chine en l’incitant à approfondir ses chaînes d’approvisionnement internes, à promouvoir la coopération régionale et à réduire sa dépendance aux marchés occidentaux.
Aux États-Unis, cette réponse illibérale conduira à une dégradation des normes du travail, une érosion des salaires réels par l’inflation, tout en protégeant artificiellement les élites économiques.
Un manque de politique industrielle cohérente
Trump ne dispose pas d’une véritable politique industrielle, ce qui rend ses mesures commerciales réactives totalement inefficaces. Une politique industrielle cohérente coordonnerait les investissements publics, soutiendrait des secteurs ciblés, appliquerait des normes du travail et orienterait le progrès technologique vers des emplois de qualité.
Son prédécesseur, Joe Biden, avait initié une telle politique avec les lois Inflation Reduction et CHIPS. Cependant, ces programmes sont désormais attaqués par l’administration Trump, et leurs effets seront limités.
Sans ces fondations, les travailleurs restent vulnérables aux chocs économiques, exclus des retombées de la croissance, tandis que la rhétorique sur la réindustrialisation ne reste qu’un spectacle politique.
La voie à suivre
Si les politiques économiques de Trump sont vouées à l’échec, un retour au libéralisme économique ne résoudra pas non plus les problèmes sociaux et économiques. Les tentatives passées de maintenir ce système défaillant ont souvent eu des effets contre-productifs.
Après la crise financière mondiale de 2008, les gouvernements occidentaux ont sauvé les grandes banques et laissé les marchés financiers reprendre leur cours, sans réformes structurelles significatives. Dans le même temps, le niveau de vie des classes moyennes et ouvrières a stagné ou décliné, avec des salaires bloqués, une flambée des prix immobiliers et une précarisation croissante.
Vers un nouvel ordre économique mondial
Il est impératif de ne pas revenir à ces dysfonctionnements. Un nouvel ordre économique mondial doit émerger, fondé sur la gouvernance multilatérale, la durabilité écologique et un développement centré sur l’humain.
Ce multilatéralisme progressiste impliquerait la coordination des États sur la fiscalité des multinationales, la lutte contre les paradis fiscaux, la régulation des flux de capitaux, l’établissement de normes minimales du travail et environnementales, le partage des technologies vertes et le financement conjoint des biens publics mondiaux.
Un rôle accru pour les pays en développement
Dans ce nouvel ordre, les institutions économiques mondiales offriraient aux pays en développement la possibilité de mettre en œuvre des politiques industrielles et de renforcer leurs liens avec les organismes financiers publics pour mobiliser un capital patient et durable.
Cette approche coopérative constituerait une alternative concrète à la mondialisation libérale, favorisant l’investissement public responsable et la collaboration financière axée sur le développement.
Un modèle post-croissance pour les pays riches
Parallèlement à un développement éco-social dans les économies émergentes, les pays les plus riches doivent adopter progressivement un modèle post-croissance. Cette stratégie privilégie le bien-être, la stabilité écologique et l’équité sociale plutôt que l’expansion illimitée du PIB.
Elle implique d’investir dans les soins, les infrastructures vertes et les services publics plutôt que de rechercher des profits à court terme ou une croissance extractive.
Pour les économies matures, l’objectif est de passer de la croissance quantitative à une meilleure répartition des richesses et à une vie en harmonie avec les limites planétaires, permettant également aux pays à faibles et moyens revenus d’améliorer leur niveau de vie sans épuiser les ressources naturelles communes.
Renforcer la coopération et restaurer la justice sociale
Avec une meilleure coopération entre les institutions financières nationales et multilatérales et des outils efficaces pour taxer et réguler les entreprises, les gouvernements pourraient recréer des emplois stables et bien rémunérés, renforcer les syndicats et combattre les inégalités.
Cette voie est la seule qui permette aux travailleurs américains de retrouver la qualité de vie à laquelle ils aspirent.
Un antidote puissant contre le populisme illibéral
Un multilatéralisme progressiste serait un remède durable contre la montée des populismes illibéraux. Mais pour réussir, il faudra bâtir des coalitions politiques solides à l’échelle mondiale et régionale, capables de défier les intérêts corporatifs installés et de contrebalancer le cadre économique libéral actuel, dominé par le capital.
Le défi est clair : non seulement critiquer les politiques destructrices de Trump, mais aussi proposer une vision audacieuse et cohérente de renouveau industriel, de durabilité écologique et de justice globale. Les mois à venir révéleront si quelqu’un est prêt à mener cette transformation.