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Vers 1155 avant J.-C., des artisans employés sur le chantier de la Vallée des Rois cessent le travail pour réclamer leur salaire. Ce conflit social témoigne des difficultés croissantes du Nouvel Empire égyptien.
L’Égypte antique et le Nouvel Empire
Pas facile de s’y retrouver dans la longue histoire de l’Égypte antique, qui a connu trente-trois dynasties de pharaons en trois mille ans d’existence ! Entre 1570 et 1077 avant notre ère, le Nouvel Empire constitue une période de progrès et de prospérité, l’un des « trois âges d’or » de cette civilisation, selon le baron von Bunsen, célèbre égyptologue allemand du XIXe siècle.
Cependant, entre -1188 et -1069, le Nouvel Empire connaît un profond déclin qui va mener à sa chute et à sa partition. Fils de Sethnakht, le fondateur de la XXe dynastie, Ramsès III est considéré comme le dernier pharaon à avoir exercé un pouvoir réellement important. Et le premier à avoir dû gérer une grève !
Un témoignage historique
L’histoire de ce premier conflit social est racontée par le scribe Amennakht dans le « papyrus de la grève », conservé au musée égyptien de Turin, ainsi que dans des ostraca, c’est-à-dire des tessons de poterie, conservés notamment au Caire et à Berlin.
Appelés « serviteurs dans la Place de la vérité », les ouvriers et artisans de la Vallée des Rois sont des fonctionnaires employés à la construction de tombeaux et de temples funéraires pour le compte des pharaons. Ils résident au village de Set Ma’at (la Place de la vérité, aujourd’hui Deir el-Médineh) et constituent une corporation privilégiée dans le Nouvel Empire égyptien, composée de sculpteurs, de tailleurs de pierre, de maçons et de peintres.
Les conditions de travail
Ces fonctionnaires royaux ne sont pas payés en monnaie, mais en nature : viandes, volailles, poissons, miches de pain, rations de bière, produits laitiers, vêtements, et même des sacs de céréales pour les travailleurs qualifiés. Une fois les vivres distribués, les travailleurs sont libres de les consommer ou de s’adonner au troc afin de satisfaire au mieux leurs besoins.
Grève et occupations
Alors que les ravitaillements tardent à venir et que la qualité des rations se détériore, les ouvriers des chantiers de la Vallée des Rois, sûrs de leur position de force dans la société égyptienne de l’époque, cessent le travail en guise de protestation. Ils occupent les temples et autres bâtiments administratifs pour entraver le bon fonctionnement de la vie économique et politique de la Vallée des Rois.
Habituellement cantonné à retranscrire l’état de l’avancée des travaux, le scribe Amennakht devient alors un témoin privilégié de cet évènement pionnier. Il rapporte les propos des ouvriers :
« Nous nous sommes dirigés vers ici, pressés par la faim et par la soif. Nous n’avons pas de vêtements, nous n’avons pas d’huile. Nous n’avons pas de poisson, nous n’avons pas de nourriture. Pour cela, écrivez au Pharaon, notre gracieux seigneur, et écrivez au vizir, notre chef, qu’on nous donne de quoi vivre. »
L’intervention du vizir
On leur donne alors les rations pour le mois écoulé, ce qui calme les esprits pour vingt-quatre heures, mais la révolte reprend dès le lendemain. Des sit-in sont organisés sur le chantier du temple de Ramsès III à Médinet Habou, mais aussi sur les temples des pharaons défunts Ramsès II et Thoutmôsis III. Dans cette dernière nécropole, un des leaders de la révolte, l’ouvrier Mose, crie aux officiers de la garnison : « Au nom d’Ammon, au nom des Princes, dont les Grands Esprits vont tuer, on ne me fera pas monter aujourd’hui ! » La suspension de son travail ne fait l’objet d’aucune répression de la part de la garnison, signe de l’impuissance grandissante des autorités dans ce conflit. Les ouvriers sont en position de force et en ont grandement conscience.
Faute de solution durable, les ouvriers sont contraints de relancer leur grève à plusieurs reprises et à inscrire leur conflit dans la durée.
Difficultés économiques
Des conciliations entre autorités locales et grévistes aboutissent à des solutions temporaires, c’est-à-dire à la reprise partielle des ravitaillements, mais, faute de solution durable, les ouvriers sont contraints de relancer leur grève à plusieurs reprises. Les autorités nationales sont alors forcées de réagir.
Premier ministre du pharaon, le vizir To ne peut venir en personne dans la Vallée des Rois, étant occupé à la préparation d’une fête religieuse. Il envoie alors ses subordonnés lire publiquement une lettre expliquant aux grévistes que les greniers de céréales de l’empire sont vides : « En ce qui concerne vos paroles : je ne vole pas nos blés ! Suis-je, par hasard, constitué vizir pour voler ? Je ne suis en rien responsable si les choses en sont venues si loin. Même dans la grange, il n’y a plus rien ; mais je consens à vous donner ce que je puis trouver. »
Une victoire pour les grévistes
Après plusieurs mois de conflit, les serviteurs dans la Place de la vérité obtiennent gain de cause, à savoir la reprise définitive et ininterrompue des ravitaillements. Mouvement organisé et structuré s’inscrivant dans la durée, la première grève de l’histoire se conclut donc par une victoire des grévistes.
Ce conflit social témoigne des difficultés économiques croissantes qui se développent alors dans le Nouvel Empire égyptien. Le scribe du pharaon, Neferhotep, indique à ce sujet : « Nous sommes très appauvris. On a laissé s’épuiser toutes les provisions du trésor, du grenier et de l’entrepôt. Que notre Seigneur nous donne un moyen de survivre, car nous sommes en train de mourir. »
La fin d’une époque
Si Ramsès III est considéré comme le dernier pharaon ayant eu un pouvoir réel, c’est parce que l’autorité du souverain et la continuité de l’empire vont ensuite rapidement s’effondrer. Affaibli par les guerres, les constructions pléthoriques et plusieurs conflits sociaux, le pharaon meurt assassiné en 1153 avant notre ère, lors de la conspiration du harem, ourdie par son épouse Tiyi. Les difficultés s’accroissent et la XXe dynastie est renversée en -1069.