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La Tragédie du Passage : ‘ عبور شائك’ de Basma Takrouri

by Sara
Palestine

La Tragédie du Passage : ‘ عبور شائك’ de Basma Takrouri

Depuis que l’écrivain Émile Habibi a écrit sa nouvelle « La Porte de Mandelbaum » en 1959, une littérature que l’on pourrait qualifier de « littérature des barrières » a vu le jour. Des auteurs comme Ziyad Khaddash avec son histoire « Un écrivain qui ne suit pas les ordres des soldats », Azmi Bishara avec « Le Barrière… Éclats d’un roman », et Alaa Halihal avec « Passeport 2011 », ainsi que Yusri al-Ghoul avec « Gaza 87 », ont tous contribué à transformer le concept de barrière en une réalité vivante dans la vie des Palestiniens. Chaque jour, cette barrière devient un espace de danger, transformant un point de passage ordinaire en un lieu d’épuisement spirituel et physique où les Palestiniens passent des heures à revendiquer leur droit à la vie, au travail et à la libre circulation.

Dans cet espace infernal, qui s’est amplifié chaque jour depuis l’occupation israélienne de la Palestine, Basma Takrouri situe les événements de son roman « عبور شائك », publié par Dar Marfa dans sa deuxième édition.

Kaboss de la Barrière

Au checkpoint de Qalandia, qui sépare Jérusalem occupée de Ramallah, Basma Takrouri développe les principaux événements de son roman. Comme le suggère le mot « شائك » dans le titre, la complexité de la situation est palpable. L’écrivain kurde syrien Salim Barakat définit le roman comme une invention du dilemme.

Dans cet espace hostile, l’auteure introduit de manière imaginaire trois personnages palestiniens : Manar, Ziyad et Shada, chacun ayant son histoire avec la barrière, qui les pousse à revisiter leur passé à la lumière de la crise actuelle.

La barrière, quant à elle, est un espace qui semble avoir échappé à « La Poétique de l’espace » de Gaston Bachelard ; elle n’est ni une route, ni une prison, ni un pont, bien qu’elle s’étende à travers ces espaces et interagisse avec eux. C’est un espace de risque pour la vie, semblable à marcher sur un champ de mines. Ainsi, les personnages du roman de Basma traitent la barrière comme une expérience quotidienne de mort et un test décisif dont l’accueil varie selon la situation sécuritaire et l’humeur des gardes, ainsi que les ordres du gouvernement israélien.

Les événements du roman se déroulent en une seule journée autour de ce lieu problématique qu’est le checkpoint de Qalandia, ce qui pousse le récit vers une forme de novella, bien que ses pages ne dépassent pas la centaine. Cependant, cette novella résume la brutalité et la cruauté de la vie à Jérusalem occupée.

L’Enterrement, une Tâche Éprouvante

Ziyad vit un dilemme particulier avec la barrière. Son conflit avec son père ne peut le pousser à laisser son corps à Ramallah, car ce dernier est décédé lors d’une visite et Ziyad doit traverser la barrière pour le récupérer et le ramener à Jérusalem, où il doit être enterré. Ce dilemme rappelle le roman de l’écrivain syrien Khaled Khalifa, « La mort est un travail difficile », écrit des années après Basma. Dans l’œuvre de Khalifa, le héros, dont le père est décédé, se retrouve perdu avec le corps de ce dernier, dans une Syrie déchirée par des factions qui empêchent le fils de respecter la dernière volonté de son père concernant sa sépulture.

Avec Basma Takrouri, nous faisons face à l’obligation du fils envers son père, confronté à la réalité de la barrière, et à travers ce dilemme, le narrateur omniscient s’enfonce dans la vie de Ziyad et de son père, ainsi que dans l’histoire familiale.

« Ziyad se réveilla ce matin-là convaincu que ce qu’il avait fait la nuit précédente en était la cause. Il sortit avec ses vêtements en désordre et son visage fatigué, comme s’il avait été possédé, lorsqu’il reçut les nouvelles. Que signifie la mort de son père, qu’il n’avait pas approchée et dont il ne savait comment se rapprocher auparavant. En effet, il avait toujours eu honte de lui et avait vécu sa vie en évitant toute ressemblance. Pourtant, il est le fils aîné, et il ne peut se soustraire à sa responsabilité, surtout en ce qui concerne les détails et les procédures de réception, de lavage et d’enterrement, l’annonce dans le journal, le contact avec le cimetière, le lecteur du Coran, la location des chaises et des draps pour le veillée, et l’organisation du repas de deuil, du café, des dattes et de la knafeh rugueuse, ainsi que la réception des sacs de sucre et de café, et la maison où tout cela sera stocké. Tous ces détails lui frappèrent la tête comme des marteaux implacables à l’instant où il raccrocha avec sa mère. » (p. 8)

Ziyad découvre que le poids sur ses épaules est double. Outre l’obligation de prendre en charge le corps de son père de Ramallah, en tant que fils aîné, il doit réaliser cela dans un délai court, car le défunt doit être enterré après la prière du midi. Ainsi, tous les détails des funérailles, du lavage, de l’annonce doivent se faire dans un temps marathonien, tout en tenant compte que le corps est à Ramallah et que l’enterrement pourra être reporté au lendemain.

Basma Takrouri nous porte peu à peu à travers les pensées du personnage vers l’ampleur du drame. Ce n’est pas une tâche facile et n’est pas simplement un devoir familial, car le corps est dans la zone autonome de Ramallah et doit être enterré à Jérusalem.

« Ziyad devra organiser un véhicule pour le transport du corps, afin qu’il l’attende du côté de Jérusalem au checkpoint militaire de Qalandia. Il devra donc franchir la barrière avec le corps et convaincre les soldats que son père est de Jérusalem. Ensuite, il devra faire valider le certificat de décès auprès du tribunal religieux, puis ce qui est plus compliqué, passer la nuit entière avec le corps de son père. »

Une Tâche Humaine et Efficace

Basma Takrouri nous transmet l’environnement du checkpoint à travers une écriture scénique qui ancre dans notre esprit la misère et la difficulté d’accès avant même d’arriver au point d’entrée, lorsque le conducteur du bus avertit Ziyad qu’il doit descendre : « Nous sommes à Qalandia, les bus ne peuvent pas entrer, tu dois descendre et faire la queue au checkpoint. » (p. 16)

Cette scène ajoute une autre dimension à la barrière, la rendant un espace interdit aux véhicules, laissant les êtres humains face à leur destin tragique habituel au milieu d’une file d’attente interminable, comme l’a décrit le narrateur. Au cours de cette marche lente à travers la queue, Ziyad devient une loque affamée.

Mais l’auteure ne se contente pas de dépeindre cette tragédie humaine, elle intensifie la souffrance de son personnage en le faisant réaliser, au moment où il arrive à la barrière, qu’il a oublié sa carte d’identité chez ses amis avec qui il avait passé la nuit. Le seul moyen est de retourner à Jérusalem pour récupérer sa carte, mais les soldats israéliens l’aperçoivent et l’embarquent derrière le kiosque, « et ils le frappèrent à l’estomac, à la tête et sur tout son corps. » (p. 17). Cette violence est exacerbée car les soldats croyaient qu’il était un infiltré de Ramallah, ce qui les poussa à le frapper avec les crosses de leurs fusils et leurs bottes militaires. Ziyad ne réussit à parler qu’après un moment, suffisamment pour prouver qu’il était sincère, avant qu’ils ne le relâchent de nouveau de l’autre côté de la barrière.

Dans ces moments de désespoir et de confusion, l’auteure saisit une nouvelle occasion d’approfondir l’histoire du personnage à travers un retour sur son passé et ses formations psychologiques et intellectuelles, offrant une perspective qui déroge à l’attente du lecteur. En effet, ce personnage n’est pas de ceux qui symbolisent la littérature palestinienne ; il s’agit d’une personne ordinaire issue des ruelles de Jérusalem et de la Porte de Damas, dont l’ambition n’est pas plus que de devenir l’un des « chouters » dans une société marginalisée, où il rêve d’avoir un cheval, plus que d’occuper un poste gouvernemental, une aspiration en accord avec l’histoire familiale dont il provient, la famille « Abu Makhlab ».

Une Crise de Générations

L’auteure révèle que nous avons deux générations de Palestiniens, toutes deux victimes d’un même sort, en s’appuyant sur la souffrance de la grand-mère « Al-Rassn » dans ses tentatives d’élever ses enfants « et de les isoler de la réalité qui les entoure », sans succès, car ils étaient « des victimes d’une génération antérieure à l’Intifada », dans la ville de Jérusalem et particulièrement dans la vieille ville, au milieu d’un plan d’urbanisation qui vise à détruire la ville, et ce qui est le plus dangereux, c’est de détruire ses enfants, en les entraînant vers l’alcool et la drogue. Elle se montre stricte dans l’éducation de ses petits-enfants, appliquant seule des mesures discipline et des cadeaux, tentant ainsi de réparer ce qu’elle pouvait réparer dans cet environnement. » (p. 29).

À l’hôpital, Ziyad découvre le martyre de son oncle national et se retrouve face à deux corps : celui d’un père débauché par la drogue et l’alcool, et celui d’un oncle combattant. Comme si l’auteure voulait dire que la mort poursuit tout le monde, comme la barrière monstrueuse.

Elle introduit ainsi une coïncidence supplémentaire : tout ce qui se passe se déroule ce jour-là, lors de l’invasion de Ramallah et la découverte de la duplicité des accords de paix, l’accord d’Oslo, où les blindés envahissent Ramallah le 8 mars 2002 pour destituer Yasser Arafat, l’architecte de la paix.

À travers une technique de narration alternée entre les personnages, Basma Takrouri construit son roman et distribue les événements, nommant chaque chapitre d’après ses personnages sans ajout, ce qui facilite la réception. Cependant, cette technique, connue depuis William Faulkner pour sa multiplicité de voix, où chaque personnage raconte les événements à sa manière, est conduite par Basma Takrouri dans ce roman grâce à un narrateur omniscient qui sait tout, comme un dieu narratif, infiltrant les esprits, les mémoires et les émotions, espionnant leur mouvement à travers différentes temporalités.

La Rencontre des Destins

Le récit de Ziyad et de son père pourrait former un monde romanesque complet, mais l’auteure choisit d’enrichir cet espace de voix féminines supplémentaires qui reflètent la souffrance des femmes palestiniennes à Jérusalem et leur vie quotidienne sous occupation. Ainsi, Shada et Manar se rejoignent au checkpoint, se rappelant les relations qui les unissaient pendant leur enfance et leurs années d’école, et les raisons de leur séparation. Ce choix entraîne un relâchement du récit dans la seconde partie du roman avant de reprendre son rythme lors de la scène finale au checkpoint, lorsque la porte s’ouvre, permettant à chacun de retrouver son individualité et de courir seul vers la sortie. Ziyad revient avec la carte d’identité de son oncle, tombé en martyr, symbolisant la continuité de la résistance et du conflit avec les barrières.

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