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Depuis une dizaine d’années, l’espérance de vie stagne, suscitant le débat sur les limites biologiques de la longévité humaine. Si certains espèrent prolonger la période de vie en bonne santé, la prolongation notable de la durée de vie semble désormais exclue. Pourtant, cette tendance n’est pas nouvelle et rappelle une période similaire dans les années 1960.
Un passé oublié : la stagnation des années 1960
Dans les années 1960, l’espérance de vie avait connu une période de stagnation comparable à celle que nous vivons aujourd’hui. Avec l’arrivée des premiers ordinateurs dans les instituts nationaux de statistique, les démographes ont produit de nombreuses projections, qui, entre 1964 et 1986, prévoyaient une absence de progression significative de la durée de vie. En 1980, une publication du New England Journal of Medicine affirmait que presque personne ne dépasserait les 100 ans.
Cependant, dès le début des années 1970, cette tendance s’est inversée, avec une augmentation continue de l’espérance de vie d’environ trois mois par an pendant quarante ans. Ce regain a permis d’allonger la durée de vie moyenne d’une dizaine d’années, tandis que le nombre de centenaires, aujourd’hui environ 30 000 en France, ne cesse de croître.
Un élastique de plus en plus difficile à étirer
Les progrès de l’espérance de vie ont brutalement ralenti au milieu des années 2010. Malgré une perturbation temporaire liée à la pandémie de Covid-19, les chiffres de 2023 et 2024 sont revenus aux niveaux observés en 2014 ou 2019, confirmant une nouvelle période de stagnation de l’âge moyen au décès. Cette situation soulève plusieurs questions : avons-nous atteint les limites biologiques de la vie humaine ? Peut-on espérer au moins allonger la période de vie en bonne santé ?
Selon S. Jay Olshansky, démographe à l’université de l’Illinois, la limite naturelle de la longévité humaine se situerait probablement entre 30 et 60 ans de vie sans interventions médicales. Les avancées médicales permettent toutefois d’« étirer l’élastique » de la vie, en réparant régulièrement notre organisme : réduction du cholestérol, dilatation des artères, lutte contre les infections et régulation du sucre sanguin, ainsi que la maîtrise croissante des cellules cancéreuses.
Les pathologies mortelles survenant jadis précocement apparaissent désormais plus tard et souvent sous forme chronique, n’entravant plus autant la vie. Les décès avant 75 ou 80 ans sont devenus rares, mais les taux de mortalité après 85 ans ne diminuent plus, en raison de la fragilité des sujets très âgés exposés aux virus, aux extrêmes climatiques et aux chutes.
Agir sur le vieillissement lui-même
Face à cet « mur », la médecine doit désormais s’attaquer non plus seulement aux maladies liées à l’âge, mais au vieillissement en tant que tel. Les chercheurs progressent dans la compréhension des mécanismes délétères qui s’accumulent dans nos organismes au fil du temps. De nombreux essais cliniques en cours laissent entrevoir des avancées majeures dans les cinq à dix prochaines années.
Venki Ramakrishnan, auteur du livre Why we die, souligne toutefois la nécessité de distinguer les fausses promesses des vrais progrès. Les controverses autour de la DHEA, des antioxydants comme le resvératrol, ou des discours transhumanistes ont souvent décrédibilisé la recherche sur le vieillissement. Néanmoins, pour la première fois, ralentir le vieillissement apparaît comme un objectif atteignable.
Des médicaments antiâge à l’essai
Parmi les approches les plus prometteuses figure la restriction calorique, prouvée pour augmenter la durée de vie chez diverses espèces. Les scientifiques recherchent des molécules mimant ses effets sans imposer un régime drastique. La rapamycine, un médicament immunosuppresseur, a montré des résultats intéressants, mais son usage est limité par une sensibilité accrue aux infections.
Le transfert de sang « jeune », qui ralentit le vieillissement chez l’animal, fait aussi l’objet de recherches pour identifier les facteurs sanguins bénéfiques. Cependant, les pistes les plus avancées concernent les médicaments sénolytiques, capables d’éliminer les cellules sénescentes, ni vivantes ni mortes, qui s’accumulent et endommagent les tissus. Ces traitements ont permis d’augmenter de 30 % l’espérance de vie chez les animaux de laboratoire.
Jean-Marc Lemaître explore également la reprogrammation cellulaire, inspirée des travaux du Prix Nobel Shinya Yamanaka, qui consiste à effacer les marques de vieillissement tout en préservant l’identité cellulaire. Chez les souris, cette technique améliore la vie en bonne santé de 30 %. Bien que l’application directe sur l’humain soit encore inenvisageable, l’utilisation d’ARN messagers pour induire cette reprogrammation cellulaire est à l’étude.
Bien vieillir grâce à des habitudes simples et reconnues
En attendant ces avancées, les connaissances actuelles permettent déjà de maximiser la durée de vie en bonne santé. Il est essentiel de se méfier des compléments alimentaires inutiles ou des cures de jeûne souvent dangereuses, qui ciblent particulièrement les seniors. Les méthodes efficaces sont bien connues :
- éviter le tabac et l’alcool,
- pratiquer régulièrement une activité physique,
- maintenir une alimentation saine,
- favoriser un sommeil réparateur,
- gérer le stress, notamment celui provoqué par l’isolement social.
Venki Ramakrishnan insiste sur l’importance d’avoir des objectifs de vie, de s’impliquer dans des projets et de préserver une communauté autour de soi pour garder une bonne forme. Par ailleurs, le contrôle régulier du cholestérol et de la glycémie, surtout après 40 ans, est crucial. Demain, des tests sanguins plus poussés permettront de mesurer précisément le vieillissement de nos organes, facilitant une prise en charge personnalisée.
Prévenir la dépendance et adapter notre société
Au-delà des individus, la prévention doit être une responsabilité collective. En France, des programmes développés par le Pr Bruno Vellas, en collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé, aident les seniors à évaluer et compenser leurs pertes fonctionnelles pour retarder la dépendance.
Les politiques publiques ont un rôle majeur à jouer en encourageant :
- les déplacements à pied et l’activité physique,
- une meilleure alimentation via des outils comme le Nutri-Score,
- l’adaptation de l’environnement urbain pour les personnes âgées (bancs publics, trottoirs abaissés, feux piétons prolongés).
Selon la Pr Agnès Buzyn, ancienne ministre de la Santé, seule une coordination interministérielle pourrait assurer ces changements durables. Or, la structure dédiée est inactive depuis 2019, retardant ainsi la mise en œuvre d’une stratégie globale de bien vieillir.