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Une récente étude de France Stratégie remet en question l’idée largement répandue selon laquelle de nombreuses entreprises redoutent de dépasser le seuil de 50 salariés, un palier déclenchant diverses obligations légales. Cette analyse approfondie invite à revoir la perception des seuils sociaux et leur impact réel sur l’emploi et la croissance des entreprises françaises.
Les seuils sociaux, une source historique d’obligations
Les seuils d’effectifs ont toujours été perçus comme des barrières administratives majeures pour les entreprises. Lorsqu’un dirigeant franchit un certain nombre de salariés, il doit notamment instituer un comité économique et social (CSE), nommer des référents pour le handicap et le harcèlement sexuel, rédiger un règlement intérieur, cotiser au versement mobilité transport, ou encore mettre à disposition un local de restauration. Ces mesures, destinées à protéger les droits des salariés, représentent un ensemble de contraintes non négligeables.
Face à ce poids réglementaire, le patronat accuse régulièrement ces seuils d’entraver l’embauche et donc la croissance des PME. En retour, les gouvernements ont souvent tenté de faire évoluer ces seuils pour alléger les obligations, sans toujours parvenir à des changements pérennes.
Évolutions législatives et tentatives de simplification
Il y a plus de dix ans, sous la présidence Hollande, une tentative de relèvement des seuils avait été abandonnée suite à une forte opposition syndicale. La loi Pacte de 2019 a quant à elle réduit le nombre de seuils à trois : 11, 50 et 250 salariés. Par la suite, l’ex-ministre de l’Économie Bruno Le Maire envisageait de réajuster ces seuils, mais la dissolution du Parlement en juin 2024 a stoppé cet acte II de la loi Pacte.
Récemment, le projet de loi de simplification de la vie économique a de nouveau inclus cette mesure avant qu’elle ne soit retirée. Elle ne devrait pas figurer dans la version finale prévue pour début mai 2025.
Un faible impact réel sur l’emploi
La thèse patronale selon laquelle les seuils sociaux freineraient l’embauche, illustrée par un nombre anormalement élevé de PME à 49 salariés comparé à celles à 51, ne résiste pas toujours à l’analyse scientifique. Dès 2011, une étude de l’Insee avait montré que la probabilité que ces seuils influencent la décision d’augmenter les effectifs était très faible. Cette conclusion avait été confirmée en 2014 par le think tank Terranova.
En 2022, des chercheurs ont étudié la possibilité que les entreprises sous-déclarent leur effectif à 49 salariés pour éviter les obligations légales. Ils ont conclu que l’effectif déclaré aux services fiscaux est peu fiable, mais que les données administratives exhaustives ne montrent pas de pic à 49 salariés.
« C’est donc l’effectif déclaré par l’employeur et non l’effectif réel qui plafonne à 49 salariés », expliquent-ils.
Données fiables et analyses récentes de France Stratégie
Un rapport de France Stratégie, publié le 22 avril 2025 par Lira Mikayelyan, Sylvain Moura et Nassim Zbalah, confirme la mauvaise qualité des déclarations fiscales qui mettent en lumière un supposé blocage des entreprises à 49 salariés. Ces déclarations sont facultatives, non vérifiées et absentes dans un tiers des cas. En revanche, les données sociales issues de l’Insee, de la MSA et de l’Urssaf sont exhaustives et contrôlées.
Ces données sociales ne montrent aucun « point d’accumulation » d’entreprises juste en dessous du seuil des 50 salariés, ni en 2015 ni en 2022, soit avant et après la loi Pacte.
L’étude souligne toutefois que depuis la loi Pacte, les entreprises tendent davantage à augmenter leurs effectifs pour atteindre un palier supérieur (par exemple passer de 15 à 20 salariés) sur les périodes 2018-2021 et 2019-2022. Ce phénomène est attribué non pas aux assouplissements législatifs, mais au dynamisme général du marché de l’emploi.
Selon les chercheurs, le nombre moyen d’entreprises « en trop » dans la tranche entre 30 et 49 salariés serait d’environ 4 371 par an entre 2015 et 2022.
Un effet modeste mais durable sur la croissance des PME
Les chercheurs identifient un « effet à longue portée » de ces seuils, freinant la croissance des entreprises comptant entre 30 et 49 salariés. Ils observent une distribution régulière du nombre d’entreprises selon la taille des effectifs, à l’exception de cet intervalle où une surreprésentation d’entreprises est constatée.
Si cet effet est bien attribuable au seuil des 50 salariés, cela signifie qu’il a une influence dissuasive non seulement pour les entreprises proches de ce seuil, mais aussi pour celles plus éloignées, dès 30 salariés. Ce constat appelle des études complémentaires pour mieux comprendre s’il s’agit d’une véritable barrière ou si les entreprises s’adaptent pour contourner cette contrainte.
« Cela pourrait faire l’objet de nouvelles études qualitatives auprès des chefs d’entreprise, pour mieux comprendre les vrais freins à la croissance dans le but de renforcer la compétitivité des PME françaises », a écrit Clément Beaune, Haut-commissaire au Plan et commissaire général de France Stratégie.
Les stratégies d’évitement des seuils sociaux
En attendant ces recherches, les auteurs ont analysé trois stratégies potentielles d’évitement des obligations légales liées aux seuils.
Filialisation
Pour éviter de franchir un seuil, certaines entreprises pourraient créer des filiales et répartir leurs salariés dans plusieurs entités. Cependant, l’étude ne détecte aucun point de rupture à l’approche du seuil de 50 salariés. De plus, la filialisation n’exonère pas des obligations légales, car la maison-mère doit instaurer des comités de groupe si une organisation syndicale en fait la demande.
Automatisation
Les entreprises pourraient aussi remplacer les salariés par des machines. L’intensité capitalistique, c’est-à-dire la part des immobilisations corporelles par salarié, augmente avec la taille, mais cette évolution n’est pas spécialement marquée dans la tranche entre 30 et 50 salariés.
Recours aux emplois non ordinaires
Certains emplois, comme les stages, contrats d’alternance ou emplois aidés, ne sont pas comptabilisés dans les effectifs légaux. Pourtant, les données montrent que les entreprises proches des seuils ne sont pas particulièrement surreprésentées dans le recours à ces emplois, et le ratio emplois non ordinaires/emplois ordinaires n’augmente pas aux abords des seuils.
« Premièrement, les entreprises aux seuils ne sont pas surreprésentées parmi celles qui utilisent les emplois non ordinaires. Deuxièmement, ce ratio n’augmente pas autour des seuils ni dans la tranche de 30 à 50 salariés », précisent les chercheurs.
Au final, le rapport de France Stratégie contribue à déconstruire certaines idées reçues sur les seuils sociaux et leur impact sur l’emploi. Les entreprises semblent moins freinées qu’imaginé par ces obligations, même si un effet modeste mais durable mérite encore d’être exploré pour mieux soutenir la croissance des PME françaises.