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Discorde en Israël : le dilemme de Netanyahu face aux captifs de Gaza
La question qui divise de plus en plus Israël est la suivante : faut-il prioriser la libération des captifs détenus à Gaza ou poursuivre ce que certains critiques qualifient de « guerre éternelle » menée par le Premier ministre Benjamin Netanyahu ? Le gouvernement israélien, focalisé sur l’idée d’une victoire totale contre le Hamas à Gaza, semble opter pour la poursuite des hostilités.
Cette orientation accentue les critiques à l’encontre de Netanyahu depuis octobre 2023, d’abord pour l’échec à empêcher l’attaque du 7 octobre, puis pour son incapacité à mettre un terme à un conflit qui dure maintenant depuis 19 mois, sans offrir une vision claire du « jour d’après » à Gaza.
Fin unilatérale du cessez-le-feu et tensions croissantes
La décision de Netanyahu en mars de mettre fin unilatéralement au cessez-le-feu, au lieu de poursuivre un accord qui aurait permis de rapatrier les derniers captifs, a creusé les divisions au sein de la société israélienne. Les opposants ont compris que la perspective de voir les captifs sortir vivants de Gaza s’éloignait.
Ces dernières semaines, une vague de lettres ouvertes émanant de différentes unités militaires a dénoncé les priorités du gouvernement. Ce mécontentement gagne également le grand public : début mai, des milliers d’Israéliens ont manifesté devant le ministère de la Défense à Tel Aviv contre la décision de Netanyahu de mobiliser 60 000 réservistes supplémentaires pour intensifier les opérations dans l’enclave palestinienne assiégée de Gaza.
Depuis le début du conflit, plus de 52 000 Palestiniens ont été tués, dont de nombreuses femmes et enfants.
Réactions des forces armées et critiques internes
Mi-avril, des membres actuels et anciens de l’armée de l’air, une unité élite d’Israël, ont publié une lettre affirmant que la guerre servait les « intérêts politiques et personnels » de Netanyahu, et non la sécurité nationale. Cette protestation a été suivie par des membres de la marine, d’unités d’élite et du Mossad, l’agence de renseignement étrangère israélienne.
Intérêts politiques et personnels au cœur du conflit
Les accusations selon lesquelles Netanyahu manipulerait la guerre à des fins personnelles précèdent même la rupture du cessez-le-feu. Pour ses détracteurs, plus le conflit dure, plus Netanyahu peut se protéger des menaces pesant sur sa position politique et sa liberté.
- Il fait face à un procès pour corruption portant sur des faits remontant à 2019.
- Il est aussi sous pression pour qu’une enquête soit ouverte sur les défaillances politiques du gouvernement avant l’attaque du 7 octobre.
- Des accusations pèsent sur des membres de son bureau, suspectés d’avoir reçu des paiements du Qatar, accusations démenties par l’État du Golfe.
La poursuite du conflit permet à Netanyahu de détourner l’attention de ces affaires tout en maintenant une coalition avec des partis d’extrême droite qui menacent de quitter le gouvernement si la guerre s’achève sans victoire totale, ce qui semble de plus en plus inclure un nettoyage ethnique de Gaza.
Escalade militaire et défis logistiques
La récente annonce de Netanyahu concernant une intensification des opérations à Gaza, comprenant l’occupation de territoires et le déplacement de populations, suscite des interrogations. Cela marquera-t-il la fin du conflit ou entraînera-t-il Israël dans une guerre sans fin, profitable jusqu’à présent au Premier ministre ?
Le colonel Seth Krummrich, ancien commandant des forces spéciales américaines, alerte sur les risques :
- « Gaza va absorber des troupes, sans compter la nécessité de surveiller le nord d’Israël, faire face à l’Iran, ou assurer la sécurité intérieure. »
- Il souligne aussi la montée d’une « toxicité intérieure » croissante : « Quand les soldats ne rentrent pas chez eux, ou ne partent pas, cela déchire le tissu social israélien. »
Refus de servir et tensions sociales
Les médias israéliens rapportent que l’un des aspects de cette toxicité se manifeste par le nombre croissant de réservistes qui ne se présentent pas au service. Ces « refus gris » ne s’opposent pas idéologiquement aux opérations, mais sont épuisés par les multiples déploiements loin de leurs familles et emplois, pour une guerre sans issue claire.
Le nombre exact de réservistes refusant le service est inconnu, mais un reportage de la chaîne nationale Kan suggère que seulement environ 60 % des réservistes répondent à l’appel, bien moins que les chiffres officiels.
Une porte-parole de l’organisation New Profile, qui soutient les objecteurs, explique :
- La hausse des refus est progressive, avec des pics liés à des changements dans la politique gouvernementale, notamment la violation du dernier cessez-le-feu.
- Les déclarations indiquant que l’objectif principal n’est plus la libération des otages mais l’occupation et le nettoyage ethnique de Gaza suscitent une forte opposition.
Un autre sujet de mécontentement public grandissant concerne la communauté ultra-orthodoxe Haredi, exemptée du service militaire depuis huit décennies, exemption jugée illégale par la Cour suprême en juin dernier. Malgré les demandes de la Cour, Netanyahu, dépendant du soutien des Haredim, n’a pas pleinement appliqué cette décision.
Division politique et sociale
Tout au long du conflit, les escalades de Netanyahu ont été vigoureusement contestées par les familles des captifs et leurs alliés, mais encouragées par ses partenaires d’extrême droite, qui revendiquent un droit biblique aux terres palestiniennes.
Le conflit entre la priorité donnée aux captifs et la promesse d’une « victoire totale » a façonné la dynamique politique, renforçant la position de Netanyahu grâce au soutien des éléments ultranationalistes de son cabinet.
Cette division a également causé des tensions avec des figures politiques, comme l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant, qui, bien que soutenant la guerre, priorisait la libération des captifs, s’opposant ainsi au Premier ministre.
La rupture entre le gouvernement et les familles des captifs s’est accentuée, Netanyahu évitant généralement de les rencontrer, tandis que des parlementaires d’extrême droite se livrent à des altercations verbales avec elles.
Un conflit qui exacerbe les fractures internes
Selon le professeur Yossi Mekelberg de Chatham House, « les guerres et conflits approfondissent les divisions existantes » en Israël. Il souligne :
- Certains réservistes ont servi jusqu’à 400 jours, tandis que d’autres refusent complètement de servir, usant de leur poids politique dans la coalition.
- Des ministres d’extrême droite évoquent même la possibilité de « sacrifier » les otages pour un gain militaire, une posture contraire aux principes fondateurs d’Israël et à la foi juive.
Cette ambiance toxique se manifeste dans le discours public, avec des divisions croissantes entre laïcs et religieux, ainsi qu’au sein même des mouvements religieux.