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La bataille est terminée, mais la guerre l’est-elle vraiment ? Douze jours auront suffi, semble-t-il, pour déterminer le sort d’un affrontement au caractère purement tactique. Le degré de destruction, la douleur infligée, ainsi que la peur et le choc dans les esprits et les corps constituent souvent la mesure décisive pour juger de la victoire ou de la défaite.
C’est pourquoi les belligérants se sont attachés à revendiquer une victoire sur le plan matériel et tactique : bâtiments démolis, territoires roussis, vies fauchées. Mais l’aspect stratégique, véritable distinction entre une bataille et une guerre, est resté absent. Qui maîtrise cette dimension stratégique, remporte en réalité la guerre.
Lorsque le président américain annonce la fin de la bataille depuis son bureau, loin des zones de combat, c’est que lui et ses experts ont conclu que le conflit devait prendre fin. Le volet tactique ne pouvait résoudre l’enjeu majeur : le monde à venir, ses défis et sa dynamique nouvelle, sur laquelle les États-Unis ne contrôlent plus toutes les variables. L’ère de l’unilatéralisme est révolue, laissant place à un monde multipolaire et aux intérêts complexes.
Les hésitations apparentes, parfois contradictoires, du président américain rappelaient une sorte de jeu d’influences à la russe, plongeant observateurs et agences dans l’incertitude quant à l’issue exacte de l’affaire.
Les signaux annonciateurs d’un changement de cap américain
Plusieurs indices ont précédé cette décision et tourné la boussole en faveur d’une cessation des hostilités avantageuse pour les intérêts américains :
- Le secrétaire d’État américain a affirmé que son pays ne souhaite pas changer le régime iranien après la frappe aérienne.
- Washington a informé Téhéran que la riposte serait unique, sans frappes supplémentaires.
- L’Iran a confirmé avoir transféré son uranium enrichi hors du site de Fordo avant la frappe.
- La réaction iranienne s’est principalement dirigée contre l’entité sioniste, et non pas contre les bases américaines.
- Multiplication des menaces et exagérations verbales de part et d’autre, signes d’un contexte régional et international modifié, sans influer sur les dynamiques internes des pays du Moyen-Orient.
Ceci révèle qu’une réalité voilée aux yeux du public détermine désormais les priorités, les défis et les positions dans ce contexte régional et mondial remodelé par la stratégie plutôt que par des considérations purement tactiques.
Première perspective : Les États-Unis, entre pragmatisme et intérêts stratégiques
La position américaine se comprend à travers quatre axes principaux :
- Préserver la face des États-Unis en plaçant la stratégie avant le tactique. Washington agit toujours en fonction de ses intérêts, évitant d’engager une guerre sauf si ses enjeux vitaux sont menacés. Le retardement — sans annulation — du programme nucléaire iranien ne constitue pas une menace immédiate.
- Ne pas se tromper dans la hiérarchie de ses ennemis : la priorité est la Chine, concurrent majeur dans les domaines industriel, informatique, et technologique, notamment en intelligence artificielle. La Chine représente un défi existentiel pour l’hégémonie américaine.
- Les intérêts d’Israël ne coïncident pas toujours avec ceux des États-Unis, illustré par le rapprochement américain avec les Houthis au Yémen tout en condamnant leurs tirs vers Israël. Washington poursuit une volonté politique d’arrêter la guerre dans la région, quitte à contraindre Israël.
- L’investissement, indicateur clé du développement économique, est primordial. Le président américain mise sur la confiance des marchés financiers, essentielle pour la stabilité et l’expansion économique.
Deuxième perspective : L’Iran entre pertes stratégiques et nouvelles opportunités
Ces douze derniers mois, l’Iran a perdu beaucoup de ce qu’il avait construit à travers le croissant chiite. La perte de son ancrage dans le courant sunnite populaire, acquis depuis la révolution islamique de 1979, est notable.
Les erreurs fatales en Syrie ont révélé une confusion entre tactique et stratégie, créant un croissant chiite sans véritable vision stratégique intégrée sur les plans historique et géographique.
Sa confrontation directe actuelle avec Israël, avec des frappes importantes évoquant les destructions observées à Gaza, lui redonne un certain poids au sein du courant sunnite populaire. L’implication américaine dans ce conflit reconfigure la situation, mais la question reste : s’agit-il uniquement d’un enjeu tactique ou d’une guerre stratégique ouverte ?
Le projet nucléaire iranien demeure intact, malgré les délais. La volonté politique et les capacités scientifiques et techniques restent solides, soutenues par des milliers d’ingénieurs et chercheurs, notamment dans les domaines des missiles, des drones et de l’intelligence artificielle — un levier stratégique essentiel pour le futur.
Le régime iranien semble conscient de ses priorités, mêlant exigences populaires de dignité et prospérité à ses impératifs de sécurité, notamment via sa puissance militaire et technologique.
Troisième perspective : Israël, entre tactique imposée et stratégies manquantes ou déviantes
Lorsque le sort d’un individu prime sur celui d’un peuple, et que la guerre devient un refuge pour maintenir une position politique, la sauvagerie s’installe. La politique israélienne, son armée et son gouvernement sont devenus synonymes de destruction, privation et souffrance infligées à une population entière.
Les conséquences sont lourdes :
- Perte du rôle de victime sur lequel Israël avait fondé son influence diplomatique.
- Déclin du soutien moral et politique dans l’opinion publique occidentale.
- Doute croissant parmi ses citoyens quant à la pérennité de l’existence nationale, illustré par les propos d’anciens dirigeants.
- Détérioration des liens avec les États-Unis, visible à travers la gestion des conflits avec les Houthis et la gestion peu enthousiaste de Washington dans cette crise.
- Perte de l’image de seule démocratie au milieu d’un environnement autoritaire, avec une justice fragilisée et des excès politiques flagrants.
Israël n’a pas su remporter sa guerre brutale à Gaza malgré sa supériorité militaire, s’enlise dans une guerre d’usure coûteuse, où ses forces subissent des pertes régulières. Ni la tactique, ni une stratégie — si elle existe — ne lui ont permis de remporter un succès décisif.
Ce conflit sanglant, le plus cruel depuis la Seconde Guerre mondiale, a fait d’Israël un agresseur aux yeux de l’opinion publique mondiale, réajustant l’équilibre de pouvoir sur la scène internationale selon de nouvelles réalités.
Vers un nouvel horizon civilisationnel ?
Le 7 octobre a marqué un séisme stratégique dans le domaine politique et diplomatique, et a modifié la configuration du Moyen-Orient. Il a ouvert la voie à un monde encore en construction, guidé par une boussole nouvelle.
La grande défaite des valeurs universelles et des droits de l’homme, longtemps considérés comme les piliers du progrès, a fragilisé le passé et obscurci l’avenir.
Les résultats de la bataille Iran-Israël confirment l’échec des seuls tactiques, malgré le sang versé et les destructions, et l’absence, la marginalisation ou la déviation des stratégies. Cette expérience devrait être un moteur pour construire une alternative civilisée, avec un langage, un discours et un modèle inédit, profondément fondés sur une éthique humaine claire, universelle et respectueuse de chaque individu.
Il s’agit de tourner la page d’un monde où la violence, la domination et la terreur ont régné au détriment des valeurs morales et humaines, pour bâtir un nouvel ordre porteur d’espoir et de dignité pour tous.