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L’économie mondiale est toujours en proie aux tensions générées par la guerre tarifaire initiée par Donald Trump. Le président américain a récemment intensifié la pression en envoyant des notifications à divers pays, leur signifiant que des droits de douane prohibitifs seraient appliqués à partir du 1er août si les exigences américaines n’étaient pas satisfaites. Une grande partie des territoires ciblés se trouve en Asie, notamment le Japon et la Corée du Sud. Nous avons rencontré Alicia Garcia Herrero, cheffe économiste pour l’Asie Pacifique chez Natixis, pour discuter des implications économiques, politiques et militaires de cette situation.
Les raisons de la cible américaine sur le Japon et la Corée du Sud
Alicia Garcia Herrero : Les deux pays sont confrontés à des exigences américaines qu’ils refusent de satisfaire. Le Japon n’est pas prêt à s’engager à augmenter ses dépenses militaires de 5 % comme l’ont fait les pays de l’OTAN. La Corée du Sud, quant à elle, hésite à acquérir des équipements militaires américains, tels que le F-35, qu’elle considère inefficaces, et préfère investir dans son industrie de défense. Les Sud-Coréens souhaitent conserver leur autonomie stratégique, un point qui déplaît à Washington.
La pression économique de la Chine
A. G. H. : La pression chinoise impacte également cette situation. Le Japon et la Corée du Sud espéraient tirer profit de droits de douane plus bas que ceux appliqués à la Chine. À l’origine, les droits de douane atteignaient 145 % pendant les tensions entre Pékin et Washington. À présent, nous avons des droits de 21 % préexistants, auxquels s’ajoutent 10 % pour tous les pays, ainsi que 20 % supplémentaires pour la guerre contre le fentanyl, portant le total à environ 50 %.
Les négociations ne sont pas encore closes, et il est probable que la Chine parvienne à réduire ces 20 % supplémentaires, car ses restrictions sur les terres rares affectent les industries occidentales, lui donnant un levier puissant. L’économie américaine ne peut pas se passer de la Chine, et nous devrions voir un ajustement vers environ 30 %. De plus, Trump a annoncé des augmentations de 25 % supplémentaires pour le Japon et la Corée, ce qui annule toute chance de gain de compétitivité pour ces pays.
La réaction attendue du Japon et de la Corée
A. G. H. : Ces pays n’ont pas vraiment le choix, leur économie étant fortement dépendante des États-Unis, qui représentent leur principal marché d’exportation. Il est probable que Tokyo et Séoul augmentent leurs dépenses militaires et que le Japon acquière davantage de bons du Trésor américains. En effet, deux tiers des détenteurs de la dette publique américaine sont des assureurs privés, et un tiers appartient à la Banque centrale. Cette dynamique fait partie des négociations en cours.
Les autres pays asiatiques sous pression
A. G. H. : Trump cherche à contrer l’influence de la Chine, en s’attaquant à d’autres pays asiatiques comme l’Indonésie, la Malaisie et le Vietnam. Ces pays, notamment le Vietnam et le Cambodge, sont profondément intégrés dans l’économie chinoise, important massivement des produits intermédiaires de Chine pour ensuite les exporter vers les États-Unis. Trump impose donc des droits de douane élevés sur les biens en provenance de ces nations, avec des augmentations récentes allant jusqu’à 36 % pour le Cambodge et 40 % pour les produits d’origine chinoise au Vietnam.
Le détachement de la Chine : une illusion ?
A. G. H. : Je reste sceptique quant à la possibilité pour ces pays de se détacher de la Chine. Par exemple, le Vietnam abrite des milliers d’usines chinoises. Même si des accords sont signés pour réduire les importations de produits intermédiaires chinois, leur mise en œuvre sera complexe, car cela impacte l’emploi local et les investissements.
L’Inde et son rôle stratégique
A. G. H. : L’Inde est un pays stratégique que les Américains cherchent à inclure dans leurs alliances. Ils veulent fissurer les BRICS et diminuer les coopérations de l’Inde avec la Chine et la Russie. Bien que l’Inde aspire à maintenir sa position en tant que leader du Sud global et ne pas être perçue comme alignée avec l’Occident, elle est également préoccupée par la montée en puissance militaire du Pakistan, soutenu par la Chine, ce qui la pousse à se rapprocher des États-Unis.
L’impact de la pression américaine dans la région
A. G. H. : La situation est délicate pour les pays de l’Asean. Le groupe, sous la présidence du Premier ministre malaisien Anwar Ibrahim, a un ton pro-chinois. Après les annonces de Trump, il avait promis une réponse commune, mais cela ne s’est pas concrétisé. Le Vietnam a signé un accord avec les États-Unis avant les autres. Les pays de la région, bien qu’ils ne soient pas pro-Chine, considèrent la stratégie américaine comme déséquilibrée, exigeant des concessions sans offrir d’alternatives. En fin de compte, Trump renforce la position de la Chine dans la région, malgré le mécontentement à son égard.