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La Côte d’Ivoire expulse les troupes françaises : un nouveau tournant
Les troupes militaires françaises qui sont présentes en Côte d’Ivoire depuis des décennies vont bientôt quitter le pays, selon des responsables ivoiriens, marquant ainsi de nouveaux revers diplomatiques pour la France dans un contexte de ressentiment local qui a conduit d’anciens alliés en Afrique de l’Ouest et centrale à rompre leurs liens avec Paris.
L’annonce du président Alassane Ouattara, faite mardi, place la Côte d’Ivoire sur une liste croissante de pays africains qui coupent leurs liens militaires avec l’ancienne puissance coloniale, alors que certains anciens alliés français se tournent également vers des mercenaires russes pour les aider à lutter contre une multitude de groupes armés dans la région.
Dans le courant de novembre, le Tchad et le Sénégal ont expulsé des troupes françaises, rejoignant plusieurs pays du Sahel qui avaient déjà fait de même depuis 2021.
Cette vague de résistance a contraint la France à concevoir une nouvelle stratégie militaire pour le continent, qui, selon les responsables, sera en adéquation avec les « besoins » des pays partenaires. Des déploiements temporaires, plutôt qu’une présence militaire permanente, et un accent accru sur la formation des forces locales sont quelques-unes des caractéristiques de cette nouvelle politique.
Le président français Emmanuel Macron fête son 42e anniversaire avec des soldats français au camp militaire de Port-Bouet près d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, le 21 décembre 2019. [Ludovic Marin/AFP]
Pourquoi la Côte d’Ivoire expulse-t-elle les troupes françaises ?
Dans son discours de fin d’année 2024, prononcé le 31 décembre, le président Ouattara a déclaré que le gouvernement ivoirien avait décidé d’expulser les troupes françaises car l’armée ivoirienne est « désormais efficace ». Le président n’a pas fourni d’autres raisons.
« Nous pouvons être fiers de notre armée, dont la modernisation est désormais effective. C’est dans ce contexte que nous avons décidé du retrait concerté et organisé des forces françaises », a déclaré Ouattara.
Le 43ème Bataillon d’Infanterie de Marine (BIMA), base de l’armée française située à Port-Bouet, la capitale économique Abidjan, sera « remis » à l’armée ivoirienne à partir de janvier 2025, a-t-il ajouté. Les soldats français ont aidé l’armée ivoirienne à lutter contre les groupes armés opérant dans le Sahel, qui s’étendent aux pays le long du Golfe de Guinée, y compris la Côte d’Ivoire et le Ghana. La France a également participé à une mission de maintien de la paix des Nations Unies durant la longue guerre civile du pays de 2002 à 2011.
L’annonce de Ouattara mardi a été inattendue. Le président est perçu par beaucoup comme l’un des dirigeants africains les plus proches de la France. Dans un pays où la colère contre la France grandit, cette perception a engendré un profond ressentiment envers le gouvernement. En août, le président français Emmanuel Macron avait honoré Ouattara lors d’un dîner privé à l’Élysée.
Les analystes estiment que la décision de Ouattara de rompre les liens militaires pourrait aussi être politique, alors que les Ivoiriens se préparent pour des élections générales prévues en octobre. Ouattara, au pouvoir depuis 2010, n’a pas encore annoncé s’il allait briguer un quatrième mandat. Sa décision de se présenter à la présidence en 2020, après la mort soudaine de son successeur et premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, avait suscité une vive indignation dans les camps d’opposition.
Des manifestants à Niamey portent un t-shirt portant l’inscription « La France doit partir » en exigeant le départ de l’armée française du Niger en septembre 2023. [AFP]
Pourquoi la France fait-elle face à une résistance générale en Afrique francophone ?
La France a fait face à des critiques sans précédent et amères de la part des citoyens de ses anciennes colonies en Afrique de l’Ouest et centrale ces dernières années. Du Mali à la Côte d’Ivoire, des milliers de personnes sont descendues dans la rue lors de manifestations de masse, demandant à leurs gouvernements de couper définitivement les liens avec Paris.
Une partie de ce ressentiment remonte à des controverses historiques liées au colonialisme. La gouvernance directe française pendant la colonisation a été perçue comme ayant affaibli les institutions traditionnelles, la culture et le leadership tout en forçant des fonctionnaires et des coutumes européens sur les populations locales. Les responsables français gouvernant les colonies étaient perçus comme particulièrement durs, tant dans leur administration que dans leurs tentatives d’accroître les intérêts économiques de la France.
Après que les pays aient obtenu leur indépendance dans les années 1960, Paris a tissé un solide réseau de relations avec les dirigeants et les élites africains, qualifié de « Francafrique », pour protéger les vastes intérêts économiques de la France et maintenir des troupes françaises sur le terrain. Plus de 200 entreprises françaises opèrent sur le continent, y compris le géant pétrolier et gazier Total, et Orano, qui exploite de l’uranium pour alimenter les centrales nucléaires françaises. Les troupes françaises ont également opéré dans toute la région, fournissant formation et assistance aux militaires locaux.
Cependant, au cours des cinq dernières années, les gouvernements dirigés par des militaires dans la région du Sahel ont rejeté la faiblesse perçue de l’armée française. Malgré la présence de milliers de soldats français, l’activité des groupes armés a continué à transformer la zone en un foyer de violence alors que des groupes comme Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM) mènent une guerre contre les forces de sécurité et les responsables à travers le Mali, le Burkina Faso et le Niger. De plus en plus, des groupes armés ont fait des incursions en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Bénin.
Des soldats ivoiriens, à gauche, tiennent leur drapeau national à côté des troupes françaises de l’opération ‘Licorne’ et des casques bleus de l’ONU, à droite, au Palais présidentiel d’Abidjan lors des célébrations marquant le 54e anniversaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire le 7 août 2014. [Fichier : Issouf Sanogo/AFP]
Quels pays ont expulsé les troupes françaises et pourquoi ?
À partir de janvier 2025, six pays africains – le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Tchad, le Sénégal et la Côte d’Ivoire – avaient coupé leurs liens militaires avec la France.
- Mali : En août 2020, un groupe de soldats des Forces armées maliennes a mutiné et a pris le pouvoir du gouvernement civil à Bamako, invoquant son incapacité à stopper l’augmentation des niveaux de violence. Après que la France ait dénoncé le coup d’État, le gouvernement militaire a mis en avant des récits populistes et a accusé la France d’interférer dans les décisions du pays. Des centaines de personnes sont descendues dans la rue, louant l’armée et appelant au départ de la France.
- Burkina Faso : Le gouvernement militaire actuel a pris le pouvoir en janvier 2022 sur fond de ressentiment contre un gouvernement civil considéré comme impuissant face aux groupes armés, et le gouvernement français censé le soutenir. En février 2023, le gouvernement militaire a ordonné aux troupes françaises de quitter le sol burkinabé dans un délai d’un mois. En janvier 2024, environ 300 soldats russes auraient été arrivés dans le pays.
- Niger : Alors que les gouvernements civils tombaient dans les pays voisins, les militaires du Niger ont également effectué un coup d’État en juillet 2023, renversant et arrêtant le président Mohamed Bazoum. De nombreux Nigériens ont manifesté en faveur de l’armée et ont demandé le départ des troupes françaises stationnées à Niamey. En décembre 2023, le gouvernement militaire a expulsé les soldats français.
- Sénégal : En novembre 2024, le président Bassirou Diomaye Faye a déclaré que la France « devrait » fermer ses bases militaires à partir de 2025, car la présence militaire française ne correspondait pas à la souveraineté du Sénégal. La déclaration est intervenue alors que le Sénégal marquait les 80 ans d’un massacre colonial au cours duquel des troupes françaises ont tué des dizaines de soldats ouest-africains mécontents de leur traitement après avoir combattu pour Paris pendant la Seconde Guerre mondiale.
- Tchad : Des responsables ont également annoncé en novembre que le Tchad mettait fin à un pacte militaire avec la France en place depuis les années 1960. Le pays était un maillon clé de la présence militaire française en Afrique et son dernier bastion dans la région plus large du Sahel. Le ministre des Affaires étrangères Abderaman Koulamallah a qualifié la France de « partenaire essentiel », mais a déclaré qu’elle « doit désormais considérer que le Tchad a grandi, mûri et est un État souverain très jaloux de sa souveraineté ». Environ 1 000 soldats français sont stationnés dans le pays.
La France a-t-elle encore une présence militaire en Afrique ?
Oui, la France maintient une grande base militaire à Djibouti, en Afrique de l’Est. Le pays, également une ancienne colonie de la France, accueille près de 1 500 soldats français et est l’un des plus grands contingents militaires français à l’étranger.
En Afrique de l’Ouest et centrale, la France continue de conserver une petite présence au Gabon, où elle dispose d’environ 300 soldats. L’armée gabonaise a pris le pouvoir lors d’un coup d’État en août 2023, mettant fin à cinq années de règne de la famille Bongo.
Cependant, contrairement à d’autres pays dirigés par des militaires dans la région, Paris a maintenu des liens avec le gouvernement militaire du Gabon, probablement à cause du ressentiment suscité par la famille au pouvoir, selon certains analystes.