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La renaissance des barques catalanes à Paulilles
Sous un soleil estival, voiliers, catamarans et bateaux à moteur prennent le large depuis le port d’Argelès-sur-Mer, dans les Pyrénées-Orientales, propulsés par un vent d’Ouest. Parmi eux, une barque en bois avec sa voile crème se distingue. « Mesdames, messieurs, face à vous, un vaisseau rare : une voile latine ! » s’exclame le guide d’un bateau-promenade. À la barre, Bruno Mazzilli, chef de bord, s’amuse : « Et oui, notre barque, Le Libre-Penseur, a la cote par ici ! »
Un patrimoine navigable
Bruno Mazzilli, âgé de 72 ans et vice-président de l’association GranyotaRem, navigue avec son équipage sur Le Libre-Penseur, un sardinier classé « Musée de France ». Ce navire de dix mètres, doté d’un gréement en bois local et d’une voile pouvant pivoter à 360 °C, représente une barque catalane traditionnelle, dont il ne reste que quelques exemplaires dans la région. Ces petites embarcations, conçues au début du XXe siècle, étaient initialement utilisées pour la pêche en Méditerranée.
Après quarante minutes de navigation, Bruno annonce un virement : « Jean-Claude, laisse partir la voile ! Voilà, on tourne autour du vent ! ». Les manœuvres traditionnelles intriquées rendent la navigation captivante. Jean-Claude, passionné de rame, souligne : « Ces manœuvres n’existent plus sur les voiliers modernes. Perpétuer cette tradition me plaît ».
Atelier des barques : une sauvegarde essentielle
Pour retourner au port, Bruno active un moteur dissimulé, car la réglementation impose aux bateaux d’être motorisés. « On y prend goût, à l’électrique ! » rigole-t-il en écoutant le doux bourdonnement. Récemment restauré entre 2010 et 2013, Le Libre-Penseur a bénéficié du savoir-faire de l’Atelier des barques de Paulilles.
Au sein de l’ancien site d’une usine d’explosifs Nobel à Paulilles, les outils s’activent sous l’œil attentif d’Evangelos Detsis, charpentier de marine et responsable de l’Atelier des barques. Son équipe restaure des barques traditionnelles en bois sous un processus minutieux qui inclut le choix des essences, le passage du bois à l’étuve, et la peinture.
Evangelos rappelle que « le bateau en bois était une institution ici », mais que le savoir-faire se perd face à la montée en popularité des embarcations en plastique. L’atelier accueille aussi un apprenti et des charpentiers pour perpétuer cet héritage maritime. En effet, la plupart des barques ont été détruites dans les années 1960 en raison de la pêche intensive. Aujourd’hui, parmi les 30 barques récupérées, 15 ont été restaurées et remises à l’eau.
Transmission du savoir et éveil des consciences
Au-delà de la restauration, l’Atelier des barques se consacre également à la transmission du savoir. L’après-midi, un groupe de visiteurs découvre les embarcations guidé par Michelle Aslanides, médiatrice du patrimoine. Elle explique comment les barques étaient conçues pour s’échouer sur la plage, retissant ainsi le lien entre le passé et le présent.
Chaque année, près de 30 000 personnes visitent l’atelier, qui accueille des écoles et des jeunes en réinsertion. Evangelos et Samuel Villevieille, responsable de l’Atelier, envisagent de faire inscrire l’art de la navigation à la voile latine au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Ils croient fermement que le patrimoine maritime mérite d’être préservé et transmis aux générations futures.
Dans une étude récente, Henry Masson, missionné par l’Inspection générale des affaires maritimes, considère l’Atelier des barques comme un modèle d’excellence pour la formation au patrimoine maritime. Selon lui, des lieux comme celui-ci sont essentiels pour préserver ce riche héritage fragile et méconnu.