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Jusqu’à il y a environ 10 000 ans, le tigre à dents de sabre (Smilodon fatalis) dominait les territoires de l’Ouest américain en tant que prédateur redouté. Plus de 3 000 fossiles de félins, découverts dans les fosses de goudron de La Brea en Californie, ont longtemps laissé penser que ce grand carnivore se nourrissait principalement de bisons et de chevaux des prairies, à l’instar du lion américain.
Une nouvelle lumière sur les habitudes alimentaires du tigre à dents de sabre
Les analyses récentes de centaines de dents retrouvées à La Brea révèlent cependant une réalité très différente. Ce gigantesque félin, pesant jusqu’à 275 kilos et armé de canines pouvant atteindre 18 centimètres, chassait plutôt dans les forêts et s’attaquait à des herbivores plus petits.
« Les images classiques des tigres à dents de sabre abattant des bisons ne sont pas du tout confirmées par les preuves », explique Larisa DeSantis, paléontologue à l’Université Vanderbilt au Tennessee et responsable de cette étude publiée dans la revue Current Biology. Selon ses recherches, Smilodon fatalis préférait chasser des animaux comme les tapirs et les cerfs plutôt que les chevaux ou les bisons.
Adaptation et extinction des grands carnivores
Ce travail apporte également un éclairage sur la disparition concomitante des plus grands carnivores, tels que les tigres à dents de sabre, les Canis dirus et les lions américains, il y a environ 10 000 à 12 000 ans. Contrairement aux coyotes et aux loups gris, qui ont survécu, ces prédateurs de grande taille avaient des habitudes alimentaires moins flexibles.
Après la disparition des grands herbivores préhistoriques d’Amérique du Nord – mammouths, paresseux géants, etc. – certains carnivores ont réduit leur taille et modifié leur régime alimentaire, devenant des chasseurs opportunistes. Cette capacité d’adaptation a permis aux coyotes, par exemple, de survivre malgré l’extinction massive des proies.
Méthodologie : Analyse des dents fossilisées et des isotopes
Plus de 700 dents fossilisées provenant de divers carnivores et herbivores de La Brea ont été minutieusement étudiées. Les chercheurs ont examiné à la fois la morphologie des dents et les proportions des isotopes de carbone présents dans leur émail, qui reflètent le type d’environnement dans lequel les proies vivaient.
Les différences dans l’accumulation de ces isotopes varient selon que les plantes poussent dans des zones boisées ou ouvertes. Ainsi, l’analyse des prédateurs permet de déterminer si leur régime était composé d’animaux vivant en forêt ou dans des espaces dégagés.
Une révision des connaissances précédentes
Jusqu’alors, les études basées sur le collagène osseux suggéraient que les grands prédateurs chassaient dans des environnements ouverts et se disputaient des proies similaires, ce qui aurait pu provoquer une concurrence fatale. Toutefois, l’émail dentaire, moins sujet à altération au fil du temps, fournit désormais des données plus fiables.
Selon Julie Meachen, paléontologue à l’Université de Des Moines, cette nouvelle méthode révèle un portrait inédit : les félins à dents de sabre et les lions américains évoluaient plutôt dans des milieux forestiers, privilégiant la chasse en embuscade. En revanche, leurs homologues canins, comme les loups et les coyotes, fréquentaient des zones plus ouvertes.
Moins de concurrence et choix écologiques distincts
Les différences d’habitat et de proies entre ces carnivores majeurs suggèrent qu’il y avait moins de rivalité qu’on ne le pensait. Cette étude est la première à démontrer que Smilodon et les Canis dirus se spécialisaient dans des proies distinctes.
La morphologie du tigre à dents de sabre, adaptée à la chasse en embuscade dans des environnements fermés, corrobore ces résultats. Ce prédateur ne favorisait pas les longues poursuites, contrairement à ce que l’on imaginait auparavant.
Le tigre à dents de sabre, un prédateur forestier
Implications pour la compréhension du Pléistocène
Christopher Shaw, paléontologue affilié au Muséum d’histoire naturelle de l’Idaho, souligne que ces découvertes enrichissent notre compréhension des préférences écologiques du tigre à dents de sabre. Certaines preuves indiquent aussi qu’il consommait occasionnellement du bison, notamment une sous-espèce adaptée aux habitats forestiers.
L’étude confirme que les espèces aujourd’hui disparues comme Smilodon et Canis dirus avaient des préférences alimentaires bien précises, alors que les coyotes ont survécu grâce à leur grande flexibilité alimentaire, pouvant se nourrir de proies aussi petites que des rats ou des lapins.