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Autrefois considéré comme une maladie de la personne âgée, le cancer digestif, et plus particulièrement le cancer colorectal, progresse de façon inquiétante chez les moins de 50 ans. Le rôle du mode de vie et de l’alimentation est souvent pointé du doigt, mais d’autres facteurs pourraient intervenir et modifier notre compréhension de cette hausse. Des chercheurs explorent des mécanismes biologiques qui pourraient expliquer cette progression et ouvrir la voie à de nouvelles approches de dépistage et de prévention.
La colibactine pourrait être en cause
Des chercheurs de l’Université de Californie à San Diego avancent qu’un coupable potentiel serait une toxine bactérienne appelée colibactine. Cette toxine est produite par certaines souches d’Escherichia coli présentes naturellement dans le côlon et le rectum et se révèle mutagène, c’est‑à‑dire capable d’altérer l’ADN. Selon l’étude publiée en avril 2025 dans Nature, l’exposition à la colibactine dès la petite enfance pourrait imprimer une signature génétique spécifique sur les cellules du côlon et ainsi augmenter le risque de cancer colorectal diagnostiqué précocement. Ces résultats mettent en lumière un mécanisme biologique jusqu’ici peu envisagé pour expliquer l’apparition précoce de la maladie.
Une “force motrice” derrière l’apparition précoce de la maladie
Les chercheurs ont analysé le génome de 981 personnes atteintes de cancer colorectal, réparties entre cas précoces et tardifs, dans 11 pays présentant des niveaux de risque différents. Leurs résultats montrent que les mutations associées à la colibactine sont environ 3,3 fois plus fréquentes dans les formes à début précoce (notamment chez les adultes de moins de 40 ans) que dans les diagnostics tardifs. Ces motifs de mutations étaient également davantage répandus dans les pays où l’incidence des cancers colorectaux précoces était plus élevée. Selon l’auteur principal Ludmil Alexandrov, « ces modèles de mutation sont une sorte d’enregistrement historique dans le génome », indiquant que l’exposition précoce à la colibactine pourrait être une force motrice derrière l’apparition précoce de la maladie.
Une colonisation silencieuse
Selon les chercheurs, les effets néfastes apparaissent précocement: « si quelqu’un acquiert l’une de ces mutations motrices avant l’âge de 10 ans, il pourrait avoir des décennies d’avance sur le calendrier de développement du cancer colorectal, en le détectant à 40 ans au lieu de 60 ». En clair, les bactéries productrices de colibactine pourraient coloniser silencieusement le côlon des enfants, y initier des changements moléculaires et potentiellement préparer le terrain pour un cancer colorectal bien avant l’apparition des premiers symptômes. Détecter ces mutations pourrait ainsi permettre d’identifier les personnes les plus à risque et de mettre en place un dépistage renforcé.
Questions et perspectives
Les auteurs restent prudents, indiquant qu’il s’agit pour l’heure d’une corrélation et non d’un lien de causalité. D’autres travaux devront confirmer l’hypothèse et répondre à de nombreuses questions, notamment comment les enfants sont exposés aux bactéries productrices de colibactine et ce que l’on peut faire pour prévenir ou atténuer cette exposition. Certains environnements, régimes ou modes de vie seraient-ils plus propices à la production de colibactine ? Comment savoir si l’on porte déjà ces mutations ? Peut-on se protéger de ces toxines via la consommation de probiotiques ?
« Cela redéfinit notre perception du cancer », a estimé Marcos Díaz-Gay, auteur principal de l’étude. Il ajoute que « il ne s’agit peut-être pas uniquement de ce qui se passe à l’âge adulte; le cancer pourrait être influencé par des événements survenus au début de la vie ». L’équipe appelle à un investissement soutenu dans ce type de recherche pour prévenir et traiter le cancer avant qu’il ne soit trop tard.