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Les injections perte de poids ont émergé comme un traitement efficace contre l’obésité, mais leur diffusion révèle une inégalité croissante : l’accès dépend souvent du lieu de résidence et des moyens financiers, créant, selon certains professionnels, une fracture sociale autour de la prise en charge du surpoids.
Injections perte de poids : un accès selon le « postcode lottery » du NHS
Il y a quelques années, l’usage d’antidiabétiques injectables prescrits hors AMM pour faire maigrir — comme l’Ozempic — était marginal et discret dans certains milieux. Aujourd’hui ces produits, notamment le semaglutide (Wegovy) et le tirzepatide (Mounjaro), font la une et sont prescrits par le NHS, mais l’accès reste très inégal.

Wegovy a été prescrit pour l’obésité par le NHS en 2023, Mounjaro a suivi début 2024. Ces médicaments agissent en partie comme coupe-faim en mimant une hormone, et des études ont montré des pertes de poids pouvant atteindre un cinquième du poids corporel.
Ils sont autorisés pour des personnes avec un IMC ≥ 27 si une pathologie est présente, ou ≥ 30 sinon (avec ajustements pour certains groupes ethniques). Mais le NHS applique des critères plus stricts : en Angleterre et au Pays de Galles, les prescriptions ciblent majoritairement les personnes avec un IMC supérieur à 35. De plus, les autorités locales déterminent l’accès à Wegovy, ce qui conduit, d’après Martin Fidock, directeur UK d’Ovivia, à un véritable « postcode lottery » : selon lui, un tiers des conseils de santé régionaux a récemment relevé le seuil d’IMC, réduisant le nombre de personnes éligibles.
NHS England a indiqué que ces différences pouvaient refléter des niveaux de besoin variés et l’activité d’autres prestataires dans certaines régions, mais confirme que les décisions de dépense restent locales. Pour Mounjaro, le déploiement du NHS a ciblé les personnes avec un IMC supérieur à 40 présentant certaines comorbidités ; toutefois, un rapport publié récemment montre que 18 des 42 comités cliniques en Angleterre avaient commencé les prescriptions conformément au plan de déploiement.
Le problème est d’autant plus aigu que l’obésité touche davantage les zones défavorisées : plus d’un tiers des personnes dans les zones les plus privées sont obèses, soit le double des quartiers plus aisés. « We cannot allow good health to become a luxury for the wealthiest by limiting access to weight‑loss drugs to those who can pay privately, » alerte Katharine Jenner, directrice exécutive de l’Obesity Health Alliance.
Marché privé, prix et conséquences sociales
Une part importante des utilisateurs recourt au privé : on estime à 1,5 million le nombre de personnes au Royaume‑Uni utilisant ces médicaments, mais plus de neuf sur dix paieraient de leur poche. Les tarifs privés varient selon la dose et l’accompagnement, généralement entre 117 € et 409,50 € par mois.

Pour certains utilisateurs, le coût n’est pas un frein : Sara de Souza, qui pesait 96 kg après la naissance de son fils, a payé 234 € par mois pour un traitement via une application et a perdu 30 kg en un an. « It completely changed my life. I felt like a new person, alive again, » dit‑elle.
Pour d’autres, la hausse possible des prix inquiète. Des médias ont rapporté qu’Eli Lilly envisageait d’augmenter jusqu’à 170 % le prix catalogue de Mounjaro, puis a conclu un accord pour les distributeurs britanniques réduisant l’impact annoncé. Néanmoins, certains patients redoutent d’être exclus : Pete Beech, 57 ans, payait 187,20 € par mois pour Mounjaro afin de perdre du poids dans le cadre d’un traitement lié à son cancer de la prostate. « If I’d had to pay £300 or even more, I would have really struggled to afford it, » confie‑t‑il.

Le marché privé encourage aussi des pratiques à risque : des pharmaciens et spécialistes alertent sur des dispensations sans bilan médical approfondi. « Some services are desperate to dispense the stuff and don’t care what happens, » avertit le professeur Richard Donnelly, rédacteur du journal Diabetes, Obesity and Metabolism.
Les effets secondaires incluent nausées, constipation, diarrhée ; une étude a été lancée après des signalements de problèmes pancréatiques. Le NHS recommande de ne jamais prendre un médicament de gestion du poids sans prescription adaptée.
Enjeux structurels : prévention, coût et inégalités
Au niveau macroéconomique, le Tony Blair Institute a estimé que l’obésité coûterait environ 114,66 milliards d’euros par an au Royaume‑Uni, en incluant perte de productivité et coûts de santé. Certains plaident pour un élargissement de l’accès via le NHS et pour des mécanismes de tarification et d’aide ciblés ; d’autres mettent en garde contre la médicalisation d’un problème social.

« By thinking we have a treatment for obesity we lose focus and stop thinking about the more difficult issues around the food industry and regulation, which are the root cause of this, » avertit Greg Fell, président de l’Association of Directors of Public Health. Katharine Jenner pointe le rôle d’un « broken food system » : publicités pour malbouffe, restauration peu saine et obstacles à l’accès à une alimentation de qualité accentuent les inégalités.
Michael Shah, analyste senior chez Bloomberg Intelligence, note qu’un grand nombre de traitements sont en développement et que la concurrence pourrait à terme faire baisser les prix, améliorant le pouvoir de négociation du NHS. Mais, pour l’instant, la combinaison d’un déploiement localisé du NHS et d’un marché privé onéreux fait peser le risque que « good health » devienne un luxe réservé à ceux qui peuvent payer.