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La dépression est-elle vécue de la même façon selon le genre ? Longtemps considérée comme identique quel que soit le sexe, la dépression pourrait présenter des variations dans ses manifestations entre hommes et femmes. Des études internationales ont laissé entendre des données manquantes, les chiffres ne coïncidant pas toujours avec les critères classiques. Par exemple, les femmes seraient diagnostiquées jusqu’à deux fois plus souvent que les hommes, alors que ces derniers présentent un taux de suicide environ trois fois plus élevé. Ces observations soulèvent la question d’un possible sous-diagnostic chez les hommes et la nécessité d’élargir la détection des symptômes.
Pour répondre à ces enjeux, la Communauté de Patients pour la Recherche de l’AP-HP (ComPaRe) lance GENDEP, une étude sur la diversité des symptômes de la dépression entre les hommes et les femmes. L’initiative bénéficie du soutien de la Fondation Pierre Deniker et de la Fondation Sisley-d’Ornano. Margaux Hazan, interne en psychiatrie et chercheuse en santé publique, est à l’origine de l’étude et a accepté de répondre à nos questions.
Des critères de diagnostic « classiques » pour la dépression
Depuis 2019, les urgences françaises enregistrent une augmentation d’environ 8 % des symptômes dépressifs. On estime qu’une personne sur 5 sera confrontée à un épisode dépressif au cours de sa vie. Par ailleurs, l’OMS rappelle que la dépression est la première cause de handicap dans le monde. Par comparaison avec 2021, Santé publique France observe une hausse des idées suicidaires chez les enfants et les jeunes adultes. Enfin, un sondage publié en septembre 2024 indique que 41 % des Français déclarent avoir été affectés par un problème de santé mentale au cours de leur vie (dépression, burn-out, pensées suicidaires).
« Quand on cherche à repérer la dépression, en France, on s’en remet à une liste de critères classiques : le fait de ressentir de la tristesse, d’être anxieux, d’avoir une perte d’énergie, de constater des changements au niveau de son appétit ou de son sommeil », précise Margaux Hazan. Cependant, elle rappelle que cette liste n’est pas exhaustive. Des nuances existent : « d’autres modifications du comportement peuvent être liées à la dépression, comme une hausse de l’irritabilité, ou le fait de se sentir “mal” sans que la personne puisse poser les mots anxiété ou tristesse sur son ressenti ».
Consommation d’alcool, irritabilité, agressivité
Des études menées notamment aux États‑Unis ont cherché à élargir les critères de dépression en explorant les manifestations chez l’homme. « D’autres échelles de symptômes ont ainsi été développées au fil des études. Le fait de boire plus d’alcool que d’habitude, d’avoir des comportements plus agressifs, d’être plus irritable, en font partie. Or, ce sont des aspects que nous évaluons très peu dans la routine du diagnostic à ce jour », souligne Hazan.
L’objectif de GENDEP est d’obtenir des ressources françaises sur ce sujet et de vérifier si l’on retrouve ce qui a été observé ailleurs. « On veut voir si on retrouve ce qui a été observé ailleurs », réaffirme-t-elle.
La cohorte ComPaRe Dépression : premiers résultats et enrichissement des critères
ComPaRe Dépression est la première e‑cohorte francophone ouverte à toutes les personnes ayant vécu ou vivant une dépression, qu’elle soit unique, récurrente, liée à un trouble bipolaire ou à un épisode périnatal. Lancée le 24 novembre 2023, elle réunit plus de 5 600 patients à ce jour, dont 15 % sont actuellement en rémission et seulement 20 % d’hommes.
Les chercheurs interrogeaient les patients sur les critères classiques tout en enrichissant la liste des symptômes possibles. Ils sont encouragés à répondre sur l’évolution de leur consommation de substances et de leur prise de risques, des éléments potentiellement liés à la dépression et encore insuffisamment pris en compte dans les pratiques actuelles.
Par ailleurs, l’étude s’intéresse au retentissement de la dépression : les critères classiques n’évaluent pas encore suffisamment l’impact sur la vie professionnelle ou sociale, ni certains symptômes physiques comme la douleur, la fatigue ou les troubles du sommeil. Un patient présentant ce type de plaintes chez un médecin généraliste n’est pas systématiquement interrogé sur un diagnostic de dépression.
Âge et symptômes : des questions encore à éclairer
Les chercheurs souhaitent déterminer si l’âge influence les manifestations de la dépression et l’étude GENDEP devrait apporter des réponses à ces questions. Margaux Hazan précise que les résultats pourraient influencer les pratiques cliniques et les parcours de soin en France, en tenant compte des éventuelles différences entre les genres et en fonction du vieillissement.