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La pollution plastique est passée, en moins de sept décennies, d’une nuisance visible à une menace diffuse pour la santé et l’environnement ; les négociations sous l’égide de l’ONU réunissant près de 180 pays à Genève se sont toutefois soldées par un nouvel échec le vendredi 15 août.
À Genève, échec des négociations sur la pollution plastique
À Genève, une installation éphémère baptisée « Le fardeau du Penseur » — reproduction de la célèbre statue d’Auguste Rodin engluée dans une mer de déchets plastiques — avait été placée devant les bureaux des Nations unies pour encourager les délégations à conclure le premier traité mondial sur la pollution plastique. Les dix jours de pourparlers ont pris fin le 15 août sans accord : le texte juridiquement contraignant visant à réduire la pollution plastique n’a pas été adopté.
Tout au long du processus, deux camps se sont opposés : les pays dits « ambitieux », favorables à une réduction de la production mondiale de plastique, et un groupe de pays producteurs de pétrole. Des voix alertaient pourtant sur l’urgence de réduire les volumes produits afin d’éviter « l’asphyxie de la planète ».
Production et émissions : une croissance soutenue liée aux énergies fossiles
Inventé à la fin du XIXe siècle, le plastique s’est massivement développé depuis les années 1950. La production mondiale est passée de 2 millions de tonnes en 1950 à 475 millions de tonnes en 2022, selon un rapport publié dans The Lancet le 4 août 2025. Si rien n’est fait, la consommation mondiale pourrait tripler d’ici 2060, d’après l’OCDE.
Plus de 98 % des plastiques proviennent aujourd’hui de dérivés du pétrole ou du gaz naturel. Ces matières fossiles émettent des gaz à effet de serre lors de leur extraction : pour produire 1 kg de bouteilles en plastique, il faut environ 1,9 kg de pétrole brut. Les plastiques dits biosourcés représentaient seulement 1 % de la production mondiale en 2024 et ne sont pas forcément biodégradables.
Isabelle Deportes, ingénieure à l’Ademe, détaille les additifs introduits pour adapter les plastiques à leurs usages : « on entend le phtalate (plastifiant), les retardateurs de flammes (utilisés dans certains équipements électroniques par exemple), les anti-UV, etc ». Certains additifs sont aujourd’hui réglementés, comme le bisphénol A dans les plastiques alimentaires.
« Face à un tel rythme de production, la priorité doit être la réduction à la source: le meilleur déchet, c’est le déchet que l’on ne produit pas »,
appelle l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).
L’ONG suisse Trash Hero World a rappelé que « Il y a beaucoup d’usines pétrochimiques et de plastique » et que, pour ces pays, beaucoup d’emplois en dépendent, expliquant leurs demandes d’ »une transition juste » vers des emplois dans le réemploi, le recyclage et la collecte.
Recyclage et gestion des déchets : des limites structurelles
Parmi les objectifs souvent évoqués — réduction, réemploi, recyclage — le recyclage reste très limité : environ 40 % des produits plastiques sont jetés moins d’un mois après leur achat et moins de 10 % sont réellement recyclés selon l’Ademe.
Hervé Raps, coauteur de l’étude de The Lancet, indique que plus de la moitié des déchets plastiques sont encore brûlés, notamment dans des décharges à ciel ouvert, générant des émissions de CO2. L’Inrae ajoute que 16 % des déchets plastiques sont enfouis, souvent protégés par des bâches elles-mêmes en plastique qui se décomposent et contaminent les sols.
Le mélange de plastiques et la complexité des compositions chimiques compliquent le recyclage ; certains produits ne peuvent encore être recyclés qu’en petites proportions. Nathalie Gontard, directrice de recherche à l’Inrae, note : « seules les bouteilles en PET soit 1 à 2% des plastiques, sont réellement recyclés ».
Le recyclage chimique, capable de traiter des polymères plus complexes, ne produit actuellement que 0,1 % du plastique recyclé en Europe selon l’Ademe. De plus, le réemploi du matériau aboutit souvent à un « décyclage » : le plastique recyclé sert à fabriquer des objets de moindre qualité qui finiront par se dégrader en micro‑ et nanoplastiques.
Risques pour la santé et diffusion environnementale
Le rapport de The Lancet qualifie la pollution plastique de « danger grave, croissant et sous-estimé » pour la santé, avec un coût mondial estimé à au moins 1 500 milliards de dollars par an (environ 1 380 milliards d’euros). Philip Landrigan, chercheur au Boston College, alerte sur la vulnérabilité des enfants.
Les microplastiques et nanoplastiques suscitent une inquiétude croissante : détectés en 2022 dans le sang humain, puis retrouvés dans les poumons, le lait maternel ou le placenta, ils transportent un cocktail d’additifs. Selon des chercheurs de l’Université de Newcastle, un être humain pourrait ingérer environ 5 grammes de plastique chaque semaine, soit l’équivalent d’une carte de crédit.
Jean‑François Ghiglione déplore : « On sait aujourd’hui qu’on a 16.000 molécules qui sont mises dans le plastique, et qu’un quart d’entre elles sont toxiques pour l’organisme. Seulement 4% de ces dernières sont régulées à l’échelle mondiale ». Les conséquences sanitaires évoquées incluent cancers, diabète, atteintes cardiovasculaires, fausses couches et infertilité, selon des rapports cités par les chercheurs.
Le plastique est omniprésent dans les écosystèmes : l’érosion des pneus libérerait près de 6 millions de tonnes de particules plastiques par an, et on observe d’immenses zones de concentration océanique souvent appelées « soupes » ou « septième continent ». L’Ademe estime qu’un camion poubelle rempli de plastique est rejeté dans les océans chaque minute.
La contamination touche aussi la faune : 94 % des oiseaux de la mer du Nord présentent du plastique dans leur estomac, et des incidents comme le naufrage du X‑Press Pearl en 2021 ont montré l’impact catastrophique de déversements de granulés industriels sur la vie marine.