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Réfugiés en Tunisie : un avenir incertain face à la répression

by Sara
Réfugiés en Tunisie : un avenir incertain face à la répression
Tunisie

Réfugiés en Tunisie : une expulsion brutale hors des oliveraies de Sfax

Patricia sanglote au téléphone. Ce matin, une douzaine de policiers tunisiens sont venus dans son campement pour annoncer à elle et aux autres réfugiés, demandeurs d’asile et migrants en situation irrégulière qu’ils doivent partir.

Ils ont laissé 48 heures aux occupants, sans indiquer où ils pourraient aller. La consigne était claire : ils ne pouvaient pas rejoindre les quinze camps installés autour de Sfax depuis la première expulsion de réfugiés en septembre 2023.

Patricia, infirmière de formation, tenait depuis plusieurs mois une clinique de fortune à Kilomètre 33, nom donné à ce camp instable situé à cette distance de la ville. Elle ignore désormais où elle ira, tout comme les personnes âgées, malades, enfants et mères allaitantes qui la suivent.

Les autres camps, touchés par cette opération policière récente, ont été détruits au bulldozer et incendiés, et toute résistance a été réprimée par des arrestations.

« Je ne sais pas ce que je vais faire, ni où aller », confie Patricia, qui espérait un traitement de faveur pour Kilomètre 33, jugé plus calme. Les anciens du camp avaient même sollicité les autorités pour épargner ce site, en vain.

Patricia, infirmière et sage-femme, un parcours marqué par la tragédie

Quelques jours plus tôt, dans le tumulte de sa clinique improvisée, Patricia racontait à Al Jazeera son rêve de devenir infirmière, né dans sa jeunesse à Makeni, au nord de la Sierra Leone, où elle vivait avec sa famille.

Elle se souvenait des voyages en voiture avec son père, chauffeur dans une société de téléphonie mobile, pour rendre visite au village familial, où elle aidait une infirmière locale à soigner les enfants en expliquant l’importance des médicaments.

Diplômée infirmière, Patricia a choisi de se spécialiser en obstétrique. Elle porte toujours sa licence avec elle, qu’elle présente pour obtenir des médicaments dans les pharmacies proches du camp.

Mais sa vie a basculé le 22 avril 2022, lorsque son père est victime d’un accident de voiture. Faute d’argent, l’hôpital où elle travaillait refuse de le prendre en charge, lui offrant seulement un lit où il meurt quelques jours plus tard.

Un périple difficile vers l’Europe

Un appel d’un ami, originaire du même village et arrivé en Europe après un long voyage via la Tunisie, a ouvert pour Patricia la voie de l’exil. Il lui a proposé de financer son périple, à condition qu’elle ne prenne pas l’avion mais qu’elle voyage par voie terrestre et marche.

Le trajet à travers la Guinée et le Mali s’est fait en transport, mais en Algérie, elle a dû marcher plusieurs jours sans eau. Elle a vu des personnes mourir en chemin, encouragée par le soutien téléphonique de son ami.

En avril 2024, elle a franchi la frontière tunisienne, où les passeurs l’ont conduite à Kilomètre 33. Après trois tentatives infructueuses de traversée vers l’Europe, dont la dernière le mois dernier, elle a été renvoyée dans le désert tunisien sans téléphone, argent ni indication.

« Nous sommes restés 16 jours dans le désert, entourés de policiers et de mafieux tunisiens, sans aucun secours », raconte-t-elle. Elle ne tentera pas de nouveau la traversée.

Répression des camps et incertitude quant au respect des droits humains

Les autorités tunisiennes, sous la direction présumée du président Kais Saied, ont lancé une vaste opération pour démanteler tous les camps autour de Sfax, justifiant ces mesures par les plaintes des agriculteurs incapables d’accéder à leurs oliveraies.

Un porte-parole de la Garde nationale a annoncé que des camps situés dans les zones d’al-Amra et Jebeniana avaient été évacués « pacifiquement », avec l’aide du Croissant-Rouge, du ministère de la Santé et de la Protection civile.

Selon eux, environ 4 000 personnes de diverses nationalités ont quitté un camp, certaines dispersées dans la campagne, tandis que les autorités sanitaires prenaient en charge les femmes enceintes et les malades.

Pourtant, aucun réfugié interrogé après ces opérations ne rapporte avoir reçu une quelconque assistance.

Romdhane Ben Amor, du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, dénonce une « opération accompagnée d’une campagne de propagande » et s’interroge sur le respect des droits humains dans un contexte où les camps sont rasés au bulldozer et incendiés.

Des expulsions vers le désert et une destination inconnue

La localisation actuelle de nombreuses personnes expulsées reste inconnue. Certaines errent encore dans les oliveraies, cachées de la police, tandis que d’autres auraient été transportées à la frontière algérienne pour y être abandonnées dans le désert, comme cela a déjà été signalé.

La presse nationale tunisienne n’a pas abordé cette question, préférant relayer la rhétorique officielle qui justifie la destruction des camps.

Un député tunisien, Tarek Mahdi, a récemment relayé les propos du président sur un « danger imminent » pour la Tunisie, évoquant notamment les « 6 000 naissances en peu de temps parmi les femmes migrantes ».

Patricia, elle, ne souhaite qu’une chose : savoir où elle et ses patients dormiront dans deux jours. Elle ne veut plus poursuivre sa route vers l’Europe, et aucune autorité ne l’a encore contactée pour un retour dans son pays.

« Pourquoi veulent-ils nous faire du mal ? Nous sommes aussi des êtres humains. La seule différence est la couleur de notre peau », conclut-elle.

source:https://www.aljazeera.com/news/2025/4/23/i-dont-know-where-i-will-go-refugees-run-out-of-options-in-tunisia

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