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La géo-ingénierie solaire, technique visant à réfléchir les rayons du soleil pour les renvoyer dans l’espace, suscite autant d’intérêt que de débats. Face à l’élévation record des températures en 2023 et à des phénomènes climatiques extrêmes de plus en plus fréquents, cette méthode se présente comme un « plan B » climatique, mais divise profondément la communauté scientifique.
Le Solar Radiation Management : une technologie aux multiples visages
Les technologies de gestion du rayonnement solaire, appelées Solar Radiation Management (SRM), regroupent des interventions climatiques à grande échelle destinées à atténuer le réchauffement climatique. Elles reposent principalement sur deux approches : augmenter la réflexion de la lumière solaire vers l’espace ou diminuer l’absorption du rayonnement par la Terre.
Les partisans de la SRM soulignent que cette technologie pourrait rapidement ramener la température globale à des niveaux proches de l’époque préindustrielle, pour un coût relativement modéré. Actuellement, environ 30 % de l’énergie solaire est réfléchie par la Terre. Une augmentation d’à peine 1 % de cette capacité de réflexion pourrait abaisser la température terrestre d’environ 1 °C.
Bien que la réduction drastique et urgente des émissions de CO₂ soit unanimement reconnue comme indispensable, les défenseurs de la SRM estiment qu’elle offrirait un délai précieux pour atteindre la neutralité carbone, tout en limitant des effets délétères comme la montée du niveau des océans.
Techniques pour réfléchir la lumière solaire vers l’espace
L’injection d’aérosols stratosphériques
La méthode la plus expérimentée consiste à injecter des aérosols dans la stratosphère (SAI). Ces particules microscopiques, notamment du dioxyde de soufre, renvoient une partie du rayonnement solaire dans l’espace, induisant un refroidissement au sol. Des avions ou ballons libéreraient des milliards de molécules pour former une fine couche réfléchissante autour de la planète.
Une récente étude suisse propose cependant d’utiliser des particules solides, comme la calcite ou la poussière de diamant, qui seraient plus efficaces et auraient un impact environnemental moindre que le dioxyde de soufre.
L’éclaircissement des nuages marins
Une autre technique avancée vise à modifier les nuages au-dessus des océans. Des canons spéciaux pulvérisent de l’eau de mer pour favoriser des nuages plus blancs, riches en cristaux de sel, qui réfléchissent davantage la lumière solaire. Ce procédé protège notamment les récifs coralliens des hausses de température.
Autres approches en développement
- Repeindre les rues et toits en blanc pour augmenter la réflectivité urbaine et atténuer les vagues de chaleur.
- Placer des miroirs géants dans l’espace afin de refléter le rayonnement solaire avant son arrivée sur Terre, solution encore théorique.
- Disperser des microparticules dans les nuages de haute altitude (cirrus) pour les amincir, limitant ainsi leur effet de piège à chaleur.
Le développement actuel de la géo-ingénierie solaire
La géo-ingénierie solaire reste majoritairement théorique, mais les programmes de recherche se multiplient. Plusieurs expériences en conditions réelles sont déjà en cours, notamment la start-up américaine Make Sunsets qui a lancé 147 ballons injectant du dioxyde de soufre dans la stratosphère.
En Australie, l’Université Southern Cross étudie depuis 2020 l’effet de l’éclaircissement artificiel des nuages sur la Grande Barrière de Corail.
Selon Claudia Wieners, professeure assistante en physique du climat à l’Université d’Utrecht, la mise en œuvre à grande échelle d’une injection d’aérosols stratosphériques serait techniquement réalisable en quelques années, soulignant qu’« la construction de la bombe atomique était plus difficile ».
Les controverses entourant la géo-ingénierie solaire
Si la SRM peut réduire la température, elle ne diminue pas les gaz à effet de serre émis. En traitant les symptômes sans s’attaquer à la cause, elle risque de détourner l’attention des efforts de réduction des émissions.
Xiao-Shan Yap, conseillère politique au Centre spatial de l’EPFL, met en garde contre la « fausse promesse » que la technologie pourrait résoudre la crise climatique, ce qui pourrait pousser certains décideurs à relâcher leurs engagements climatiques.
Par ailleurs, l’injection d’aérosols soulève des inquiétudes quant à ses effets imprévus sur le climat, les modèles de précipitations et l’environnement. Le dioxyde de soufre est également nocif pour la santé humaine et peut provoquer des pluies acides.
Enjeux éthiques et réglementaires
Le déploiement de la SRM pose des questions complexes : qui décide du lieu et du moment d’action ? Qui assume la responsabilité en cas d’effets secondaires ? Que se passe-t-il en cas d’interruption soudaine, par exemple à cause d’un conflit ?
Il n’existe pas encore de consensus mondial sur la gouvernance de cette technologie. Plus de 500 chercheurs dans le monde, dont plusieurs en Suisse, ont signé un appel pour interdire la géo-ingénierie solaire et stopper tout financement public pour des essais en plein air.
Claudia Wieners plaide pour un moratoire temporaire, permettant d’évaluer sereinement les dimensions scientifiques et politiques. Elle alerte également sur les risques d’un déploiement unilatéral pouvant engendrer des tensions internationales.