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Les nouvelles professions en Syrie : entre espoir et précarité
À Damas, appuyé sur sa vieille voiture à l’entrée du souk al-Cha’lan, Waël Saad, la trentaine, crie de toutes ses forces « Changeur, changeur », tandis qu’il affiche une pancarte présentant sa nouvelle profession. À proximité, des vendeurs de jus, de légumes, de fruits et de poules l’imitent en appelant les passants, tandis que plusieurs voitures exhibent des panneaux « Dollar et Euro » avec des tas de billets syriens placés dessus pour attirer l’attention des clients.
C’est une scène contemporaine en Syrie : il y a moins de deux mois, quiconque possédait une somme d’argent, même 100 dollars ou euros, marchait avec la peur d’être découvert par les forces de sécurité du régime. Posséder des devises étrangères était interdit et ceux qui étaient pris en train d’effectuer de telles transactions risquaient jusqu’à sept ans de prison et de lourdes amendes.

Waël sait que ce métier n’est pas pérenne, mais il en profite pour répondre aux besoins de sa famille.
Une profession d’urgence
Il déclare à Al Jazeera Net : « Nous essayons de gagner notre vie par tous les moyens, surtout dans la situation actuelle où il existe peu d’opportunités d’emploi ».
Il achète et vend des devises étrangères comme le dollar et l’euro aux gens dans la rue, principalement aux expatriés, afin de leur faciliter la tâche. Lui et ses nouveaux collègues sont présents sur les marchés, évitant ainsi aux clients de se rendre dans des bureaux de change ou des banques souvent dépourvus de ces monnaies.
Waël admet que c’est « une profession d’urgence qui pourrait ne pas durer longtemps », mais il essaie de subvenir aux besoins de sa famille.
Il souligne qu’auparavant, seuls les agents de sécurité et les miliciens du régime osaient s’adonner à ces transactions clandestinement, utilisant des noms de code tels que « persil » ou « menthe ». Aujourd’hui, le marché des devises étrangères ressemble à celui des légumes et des fruits, et même les commerçants des marchés se mettent à pratiquer ce métier.

Une diversité de devises
Les travailleurs dans ce secteur d’urgence ne se limitent pas à l’achat et à la vente de devises étrangères. Les propriétaires de magasins et de restaurants à Damas commencent également à les accepter. De nombreux expatriés rentrant en Syrie portent des devises utilisées dans leurs pays d’accueil, tandis que les points de vente officiels sont insuffisants pour satisfaire leurs besoins en monnaie locale.
Ahmed, employé d’un fast-food près de la place Youssef al-Azmeh, plaisante : « Nous traitons toutes les devises, que ce soit l’euro, le dollar, la livre turque ou même le yen japonais. L’important est de travailler et de répondre aux besoins des clients ».

Le commerce du carburant, un tabou brisé
Une autre profession auparavant interdite aux Syriens était la vente de carburant, qui était réservée aux membres de la quatrième division dirigée par Maher al-Assad, le frère du président déchu, ainsi qu’aux miliciens. Aujourd’hui, de nombreux kiosques de vente de carburant, qu’il s’agisse d’essence, de diesel ou de gaz, fleurissent le long des routes, évoquant ce que les Syriens appellent actuellement « les rêves d’un après-midi de sieste ».
Près de l’hôtel « Four Seasons » à Damas, sur la route menant à la place des Omeyyades, Ahmad al-Sabbagh a garé sa voiture sur le bas-côté pour proposer sa marchandise : diesel, essence et bouteilles de gaz, accueillant ses clients avec le sourire.
Il a commencé ce métier il y a quelques semaines, certains commerçants obtenant ces produits via le Liban et les distribuant au détail. Ils fixent une petite marge qui répond à leurs besoins quotidiens tout en servant leur clientèle.
Les Syriens, au fil des années, se sont habitués à la rareté, surtout en matière de carburant. Le régime se contentait de distribuer des quantités infimes via des messages et des cartes intelligentes. Aujourd’hui, il est possible d’acheter la quantité souhaitée à des prix raisonnables et, surtout, sans crainte.
Avant la chute du régime le 8 décembre dernier, les Syriens ont souffert d’une crise de carburant aiguë ainsi que d’un système de distribution contrôlé par le ministère du Pétrole, qui envoyait des messages pour indiquer aux automobilistes les stations-services où ils pouvaient se rendre pour obtenir une petite quantité toutes les semaines ou deux semaines, les poussant ainsi vers le marché noir contrôlé par les éléments du régime et leurs miliciens.
