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Alors que la France s’inquiète de son déficit de production industrielle, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) révise à la baisse ses prévisions pour la croissance du commerce mondial en 2025. Cette révision importante s’inscrit dans un contexte d’incertitudes majeures liées aux politiques douanières américaines. Vincent Vicard, économiste spécialiste du commerce international et adjoint au directeur du CEPII, livre son analyse sur cette situation complexe.
Révision des prévisions : un recul significatif du commerce mondial
L’OMC anticipe désormais une croissance du commerce mondial comprise entre 0,2 % et 1,5 % en volume pour 2025, contre une prévision initiale de 3 %. Cette réévaluation s’explique par les mesures protectionnistes prises par les États-Unis sous l’administration Donald Trump, notamment l’instauration de droits de douane élevés sur plusieurs produits.
Selon l’OMC, les exportations chinoises pourraient augmenter de 4 % à 9 % dans toutes les régions sauf en Amérique du Nord, en raison d’une redirection des échanges. En revanche, l’Amérique du Nord devrait subir une baisse de 12,6 % des exportations et de 9,6 % des importations en 2025. Les pays les moins avancés (PMA), souvent très dépendants des exportations, risquent de ressentir de lourdes conséquences du rétablissement des droits de douane américains.
La directrice générale de l’OMC souligne que « l’incertitude persistante menace de freiner la croissance mondiale, avec de sévères conséquences négatives, notamment pour les économies les plus vulnérables ».
Entretien avec Vincent Vicard : les incertitudes autour des droits de douane américains
franceinfo : Vincent Vicard, vous vous attendiez à cette révision à la baisse des prévisions OMC ?
Vincent Vicard : C’est extrêmement difficile de faire des prévisions dans ce contexte d’incertitude. Donald Trump annonce des droits de douane très élevés, puis les revoit à la baisse une semaine plus tard. Prédire l’évolution du commerce mondial sur l’année revient à anticiper ses décisions, ce qui est impossible. Même lui semble incertain.
« Les négociations actuelles avec les pays concernés restent floues. On ignore l’objectif précis de l’administration américaine », ajoute l’économiste.
Il rappelle que les États-Unis représentent 13 % des importations mondiales et ont instauré des droits de douane moyens de 10 % sur leurs partenaires, avec des taux plus élevés sur des produits clés comme l’acier, l’aluminium ou l’automobile, ce qui constitue un choc majeur pour le commerce international.
La réponse de l’Union européenne face aux tensions commerciales
Selon Vincent Vicard, la stratégie européenne doit être double :
- Face aux États-Unis : Il est essentiel d’adopter une réponse proportionnée en négociant un rapport de force avec l’administration américaine. La question est de savoir si cette riposte doit porter sur les biens, via des droits de douane, ou sur les services, en restreignant l’accès des exportateurs américains au marché européen.
- Face à la Chine : Une coordination européenne est indispensable pour gérer la redirection des échanges sans provoquer une escalade commerciale. Une intensification des tensions serait catastrophique avec un second front dans ce conflit mondial.
Malgré des intérêts divergents entre États membres — l’Allemagne ayant des liens forts avec la Chine et une forte exportation vers les États-Unis, tandis que des pays comme l’Irlande ou l’Italie sont plus exposés à l’Amérique —, une logique de réponse européenne semble émerger, dépassant ces dissensions, ce qui pourrait renforcer le marché unique.
Le rôle actuel de l’OMC face aux défis du commerce mondial
Vincent Vicard rappelle que l’OMC était déjà fragilisée avant l’arrivée de Donald Trump. Néanmoins, il souligne l’importance de penser au système multilatéral post-Trump. Les États-Unis représentent 13 % des importations mondiales, mais 87 % du commerce mondial reste attaché à ce système.
« L’OMC présente des défauts, notamment dans la gestion des subventions chinoises, mais elle incarne toujours un cadre multilatéral auquel de nombreux pays restent fidèles », explique-t-il.
Il insiste sur la capacité de l’Union européenne à jouer un rôle de premier plan, contrairement à des pays plus petits comme le Vietnam, très impactés par les droits de douane américains, mais disposant de moins de marges de manœuvre pour riposter.
Le changement de négociateur chinois : un tournant stratégique ?
La Chine a récemment désigné un nouveau négociateur en charge du commerce international, signe possible d’une évolution dans sa stratégie face à la montée des tensions. Il y a quatre ans, un accord avait été conclu pour augmenter les achats chinois de produits américains, accord qui fut peu respecté mais évita une escalade.
« Aujourd’hui, la situation est bien différente, avec des droits de douane américains dépassant 100 % sur certains produits importés de Chine. Le nouveau négociateur reflète sans doute une volonté de désescalade et d’adaptation à ce contexte plus tendu. »
Comparaison avec les crises précédentes : quelle ampleur pour le recul du commerce mondial ?
Les prévisions de croissance du commerce mondial situées entre 0,2 % et 1,5 % restent inférieures à celles observées durant la pandémie ou la crise financière de 2008-2009. Ce recul, bien que notable, s’inscrit dans une incertitude considérable.
Avant l’arrivée de Donald Trump, le commerce international devait croître de 3 %. La chute actuelle est donc significative, mais les prévisions sont susceptibles d’évoluer en fonction des décisions politiques à venir.
« Faire ces prévisions est un exercice difficile, presque héroïque. Elles donnent néanmoins un aperçu de l’ampleur du choc et de la rupture que traverse le commerce international », conclut Vincent Vicard.