Table of Contents
Face à l’interdiction de la discrimination positive par la Cour suprême, les universités américaines les plus prestigieuses opèrent un virage stratégique majeur. Pour maintenir un corps étudiant pluriel, ces établissements d’élite misent désormais massivement sur la diversité socioéconomique, enregistrant des records d’inscriptions d’étudiants issus de milieux modestes malgré un climat politique tendu.
Si les campus de l’Ivy League restent des bastions de privilèges, une transformation silencieuse est en cours. De Princeton au MIT, les efforts s’accélèrent pour recruter au-delà des cercles traditionnels, ciblant les zones rurales et urbaines défavorisées. Cette nouvelle priorité aux admissions universitaires basées sur les revenus vise à compenser la fin de la prise en compte du critère racial, bien que cette approche risque de provoquer des frictions croissantes avec l’administration fédérale.
La diversité socioéconomique comme nouvelle boussole
À l’université de Princeton, la promotion de première année n’a jamais compté autant d’étudiants à faibles revenus. Un quart des nouveaux inscrits sont éligibles aux bourses fédérales Pell, réservées aux foyers les plus précaires. Il y a deux ans à peine, ce chiffre était inférieur à 10 %. Pour Christopher Eisgruber, président de l’université, le volontarisme est la clé : « La seule façon d’accroître la diversité socioéconomique est de le faire intentionnellement. »
Cette tendance se confirme dans 17 établissements hautement sélectifs analysés. Yale, Duke, Johns Hopkins et le Massachusetts Institute of Technology (MIT) ont tous battu leurs records d’accueil d’étudiants boursiers ces deux dernières années. Au MIT, ces étudiants représentent désormais plus d’un quart de la promotion, soutenus par une politique de gratuité des frais de scolarité pour les familles gagnant moins de 200 000 dollars (environ 190 000 euros) par an.
Un impact mitigé sur la diversité raciale
L’espoir de nombreux responsables académiques était que l’accent mis sur les revenus préserverait indirectement la diversité raciale, les populations noires, hispaniques et autochtones étant statistiquement plus exposées à la pauvreté. Cependant, les résultats sont contrastés au sein de l’élite universitaire.
Le Swarthmore College illustre ce paradoxe. L’établissement a vu la part de ses étudiants précaires bondir de 17 % à 30 % en un an, grâce notamment à une évaluation proactive des besoins financiers sans attendre les formulaires gouvernementaux. Pourtant, la part des étudiants noirs dans la nouvelle promotion a chuté, passant de 8 % à 5 %.
« Dans un environnement neutre sur le plan racial, ces chiffres sont susceptibles de baisser », admet Jim Bock, doyen des admissions à Swarthmore. « Tous les étudiants issus de minorités ne sont pas à faible revenu, et tous les étudiants de la majorité ne disposent pas de moyens financiers importants. » Pour Richard Kahlenberg, chercheur au Progressive Policy Institute, ces efforts restent néanmoins cruciaux pour que la classe dirigeante américaine inclue des personnes ayant surmonté des épreuves économiques.
Bras de fer politique avec Washington
Cette stratégie d’ouverture pourrait se heurter à l’hostilité de Washington. L’administration Trump a déjà signalé que le ciblage des étudiants nécessiteux pourrait être illégal s’il servait de « proxy racial » pour contourner la décision de la Cour suprême.
Dans des mémos juridiques récents, la Maison Blanche a critiqué des institutions comme l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) pour avoir pris en compte des facteurs tels que le code postal ou le profil du lycée d’origine. Bien que ces pratiques soient courantes dans l’éducation, l’exécutif fédéral estime qu’elles violent l’esprit de l’arrêt de 2023.
Les effets de cette pression se font déjà sentir. Le College Board, l’organisation qui supervise les examens SAT, a brusquement cessé de fournir certaines données sur les revenus des quartiers des candidats aux bureaux d’admissions, une décision perçue par beaucoup comme un recul face aux menaces politiques pesant sur les universités américaines.