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Fatma Bouvet de la Maisonneuve, psychiatre et écrivaine engagée, alerte depuis plusieurs années sur les conséquences du racisme sur la santé mentale des populations concernées. Face à une actualité marquée par des politiques restrictives et des violences ciblées, elle appelle à une prise en compte urgente de ce lien encore trop souvent ignoré par les institutions françaises.
Un constat alarmant : le racisme, un traumatisme réel et silencieux
Alors que les débats politiques en France et à l’étranger se durcissent, les populations racisées subissent de plein fouet les conséquences psychologiques du racisme systémique. En parallèle des mesures législatives récentes restreignant les droits des étrangers, la stigmatisation des communautés musulmanes se développe, comme en témoigne le meurtre d’Aboubakar Cissé dans une mosquée du Gard, qui a ravivé un profond sentiment d’abandon.
Fatma Bouvet de la Maisonneuve, qui a changé de posture professionnelle pour devenir porte-parole de ses patients, souligne que le trauma raciste est une réalité quotidienne. Elle décrit ainsi les symptômes fréquents qu’elle observe chez ses patients : choc, stress post-traumatique, insomnie, dépression, troubles psychosomatiques, voire idées suicidaires. Ces souffrances ne touchent pas uniquement l’individu, mais s’étendent à toute la sphère familiale, avec des enfants inquiets pour leurs proches.
Le racisme, facteur aggravant de la santé mentale dans un contexte de précarité
Depuis une décennie, Fatma Bouvet de la Maisonneuve étudie le lien entre racisme, précarité et santé mentale, renforcé par la crise sanitaire. Le confinement a mis en lumière les difficultés des populations issues des quartiers défavorisés, notamment d’origine maghrébine, souvent dépourvues de moyens matériels pour assurer la continuité scolaire en ligne.
Lors d’une audition à la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), elle a fait part de la méconnaissance institutionnelle du trauma lié au racisme, pourtant omniprésent chez les victimes d’injures, de harcèlement ou d’agressions racistes. Le dernier rapport de la CNCDH révèle que plus d’un million de personnes se déclarent victimes d’actes racistes, mais seulement 4 % portent plainte, la majorité éprouvant un sentiment d’isolement et de fatalisme.
Un contexte politique et médiatique délétère
La situation s’est aggravée en France, avec une multiplication des discours et des lois stigmatisant ouvertement les étrangers, les immigrés et les musulmans. Fatma Bouvet de la Maisonneuve dénonce une forme de « trumpisation » des discours politiques et médiatiques, où les arguments rationnels ne parviennent plus à contrer des propos souvent délirants.
Elle met en garde contre l’absence quasi totale du terme « racisme » dans le débat politique, remplacé par des notions plus neutres comme « discrimination ». Cette absence entrave toute action gouvernementale forte, alors que les victimes restent sans véritables recours et que les associations antiracistes perdent de leur influence.
Le racisme dans le monde professionnel : un handicap invisible
Parmi les secteurs où le racisme se manifeste violemment, le monde du travail est particulièrement touché. Fatma Bouvet de la Maisonneuve rapporte des exemples concrets de discrimination et de harcèlement, notamment à l’encontre des hommes arabes, perçus à tort comme une menace. Ces expériences génèrent stress et arrêts maladie, et renforcent le silence autour de ces phénomènes.
Si une campagne intersyndicale pour lutter contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie dans les administrations et les entreprises voit le jour, la psychiatre souligne l’ampleur du défi, notamment en raison du racisme même présent au sein des syndicats.
Un appel à la mobilisation locale et nationale
Fatma Bouvet de la Maisonneuve poursuit un tour de France pour promouvoir son dernier ouvrage Debout, tête haute ! Manifeste pour répondre au racisme, témoignant d’une mobilisation citoyenne loin du sentiment de submersion migratoire souvent véhiculé. Ce mouvement national donne naissance à de nombreuses initiatives locales, incarnant un tissu solidaire et intelligent à l’échelle du pays.
Malgré quelques résistances, notamment dans certaines librairies, la militante reste optimiste, citant ses interventions auprès d’enfants en milieu scolaire comme une source d’espoir pour l’avenir.
Vers des politiques publiques pour une reconnaissance et une action concrète
Pour répondre efficacement au racisme, Fatma Bouvet de la Maisonneuve préconise la création d’une institution indépendante dédiée exclusivement à cette problématique, chargée d’études, d’éducation et de sensibilisation. Elle souligne que si la Défenseure des droits accomplit un travail remarquable, ses compétences sont étendues à de nombreux autres domaines, ce qui limite son impact.
Elle insiste aussi sur la nécessité de former les professionnels du soin et de l’éducation. En psychiatrie comme en médecine générale, il est essentiel de considérer l’environnement social, historique et familial des patients pour mieux comprendre et traiter les traumatismes liés au racisme.
Enfin, elle pointe le rôle néfaste de l’imaginaire colonial qui alimente le déni des impacts psychiques du racisme, rappelant que la lutte antiraciste doit dépasser une posture paternaliste pour véritablement affirmer l’universalisme et l’égalité des droits.