Table of Contents
Chaque samedi, Charles Pépin répond aux questions des auditeurs d’Inter. Aujourd’hui, il s’attarde sur une interrogation posée par Pauline : « Qu’est-ce qui distingue le plaisir de la joie ? » Une question profonde qui nous invite à réfléchir sur la nature de la joie de vivre et sur la dimension spirituelle ou existentielle qu’elle peut receler.
Distinction entre plaisir et joie : une expérience concrète
Pour mieux comprendre cette différence, prenons un exemple simple. Imaginez que vous dégustez un plat que vous adorez — cela peut être des spaghettis à l’ail et au piment, un tiramisu savoureux, votre fromage préféré ou un brie truffé. Ce moment délicieux procure un plaisir net, une satisfaction immédiate. Vous prenez du plaisir à manger.
Cependant, si ce plaisir vous mène à une contemplation plus large, si vous vous surprenez à penser « quand même, la vie est belle », alors ce plaisir se transforme en joie. Autrement dit, lorsque vous dépassez l’expérience particulière pour embrasser une approbation générale de l’existence, votre plaisir devient joie.
Considérons un autre exemple : le plaisir sensuel partagé avec une autre personne. Ce moment intime vous procure du plaisir, ce qui est déjà précieux. Mais si, au cœur de ce plaisir, vous vous émerveillez de son existence même, réfléchissant « c’est incroyable que ce plaisir existe, alors que tant d’êtres vivants se reproduisent sans le ressentir », cet étonnement général métamorphose à nouveau le plaisir en joie.
De manière similaire, boire un verre d’eau fraîche pour se désaltérer est un instant de plaisir ou de satisfaction. En revanche, si ce simple geste vous fait penser « quand même, la vie est belle », vous êtes alors dans un état de joie.
Ce « quand même » est crucial. La vie comporte aussi son lot d’épreuves : dureté, tristesse, injustice, violence. La joie de vivre, c’est savoir dire oui à la vie entière, avec ses aspects positifs comme ses difficultés. Dans cette joie, nous affirmons que, malgré tout, la vie reste une bonne chose.
Le grand oui à la vie selon Nietzsche
Cette acceptation totale de la vie, avec ses plaisirs, ses joies, mais aussi ses souffrances et tristesses, est le « grand oui » dont parle Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra. La différence essentielle entre plaisir et joie réside là :
- Le plaisir concerne l’instant présent, l’expérience immédiate et spécifique.
- La joie, au contraire, embrasse l’entièreté de la vie, au-delà de l’instant.
Dans la joie de vivre, nous ne sommes plus seulement portés par un plaisir ponctuel, mais nous nous élevons au-delà pour accueillir la vie dans sa globalité.
La dimension spirituelle de la joie
C’est pourquoi toute grande joie est sans doute aussi une expérience spirituelle. Elle nous connecte à quelque chose de plus vaste que le simple plaisir qui l’a peut-être déclenchée. Cette autre dimension, c’est la vie elle-même.
Henri Bergson écrit dans L’énergie spirituelle que « la joie annonce toujours que la vie a réussi, qu’elle a gagné du terrain, qu’elle a remporté une victoire : toute grande joie a un accent triomphal ». Ainsi, dans la joie plutôt que dans le plaisir, nous pressentons la présence d’une force supérieure, que l’on peut nommer La Vie, Dieu, la Nature, le Cosmos, le Tout, ou encore, selon Bergson, l’Élan Vital.
Dans ce contexte, notre joie dépasse notre individualité : elle devient La Joie, celle du monde qui nous traverse, de la Nature, de Dieu ou de l’Univers. Pour répondre à la question de Pauline, le plaisir reste personnel et limité, tandis que la joie est toujours, en même temps, LA joie — la joie de vivre.