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Dans son T2 d’Illkirch-Graffenstaden, au sud de Strasbourg, Léon Foé, 58 ans, a gardé religieusement quelques cartons intacts. Des livres. Pour la première fois depuis des années, il aura ici assez d’espace pour exposer sa précieuse bibliothèque. Un mois après son emménagement, il déballe ses livres à son rythme. *«J’y vais tout doucement»*. Il veut prendre son temps et profiter de la tranquillité de cet appartement pour écrire un nouveau chapitre, plus serein, de sa vie. *«Je suis passé par des tunnels obscurs»,* dit-il simplement.
Un parcours singulier
Avant ces épreuves, Léon Foé, homme affable et déterminé, s’était tracé un parcours singulier. Né au Cameroun, il a longtemps cheminé aux côtés de l’Église. Rien de prémédité : Dieu lui est tombé dessus sans crier gare. *«Je voulais être militaire, je suis devenu prêtre»,* explique-t-il en souriant. Ordonné à 32 ans, il se lance, après plusieurs années sur le terrain, dans un projet de recherche à l’Université catholique d’Afrique centrale, à Yaoundé. En 2005, il rejoint la France, et Strasbourg, pour poursuivre ce travail. Master de théologie en poche, il entame une thèse de doctorat sur l’inculturation, ou comment enraciner l’évangélisation dans les cultures locales. Soutenue en 2015 à l’université de Fribourg (Suisse), elle est publiée en 2016.
Des difficultés inattendues
Pour le désormais « docteur Foé », c’est aussi le début des ennuis. Sa vie, subrepticement, dérape. Ses recherches lui attirent des inimitiés. *«Je m’attaquais à des tabous, comme le mariage des prêtres»* (qu’il promeut). Il persiste et s’accroche à *«sa liberté»*. La rupture avec l’institution est consommée, ce qui l’isole et fait effilocher son existence. Son corps lâche le premier : *«Un glaucome fulgurant, qui a failli me coûter la vue.»* Il s’accorde une année de trêve au Cameroun, se soigne en Suisse, puis revient à Strasbourg, en 2010, sans toit ni emploi.
Vers l’autonomie
Se loger devient son chemin de croix. Il dort chez des connaissances, mais cela ne peut pas durer. Il se résout alors à composer le 115, le numéro de l’hébergement d’urgence. Il passera de longs mois au centre des Remparts, en dortoir. *«Pas une sinécure…»* euphémise-t-il. Comprenant que c’est un passage obligé pour espérer, un jour, avoir une chambre à soi, il est enfin accompagné. Aidé par une assistante sociale de la ville de Strasbourg, il recompose son quotidien : demande de RSA, renouvellement de sa carte vitale – *«pour soigner les bobos»* – et trouve un premier emploi, un intérim de traducteur dans une entreprise de conseil en informatique. *«Ça m’a permis de rebondir.»*
Un logement enfin trouvé
Après plusieurs mois de recherche, Habitat et Humanisme lui trouve un meublé rue du Jeu-des-Enfants, dans le centre-ville. Le logement est minuscule : 16 m² ; le loyer, disproportionné : 500 euros, car il dispose d’un bail d’avant le rachat de l’immeuble par la foncière solidaire Soliko. *«Il me fallait être autonome, j’ai accepté.»* Il n’a pas vraiment le choix. *«Si le parcours de M. Foé est atypique, il rejoint une problématique, elle, très banale : l’accès au logement, en France, dépend de l’emploi»,* témoigne Anne Merschein, responsable du pôle accompagnement de l’association en Alsace. *«Privé de contrat de travail stable, il n’aurait jamais trouvé dans le parc locatif privé.»*
Une vie redevenue normale
Débute alors pour Léon Foé une vie domestique *«en miniature».* «Je cassais beaucoup de choses»,* se souvient-il. C’est, pour lui, *«le prix à payer pour être chez soi, une façon d’être libre».* Il se rapproche de sa fille, qu’il aide à emménager à Lyon pour ses études. En août 2022, il trouve un nouvel emploi en tant qu’opérateur de recyclage à temps plein au centre Envie 2E (Emploi & Environnement) de Geispolsheim, tout en continuant à chercher un logement un peu plus grand.
Un espace apaisant
Après plus de trois ans d’attente, *«Dans le logement, malheureusement, le maître mot c’est la patience,»* témoigne Anne Merschein. Dans l’Eurométropole, 32 000 demandes de logement social sont en cours. Celle de Léon Foé finira par aboutir. *«Un jour d’août 2024, on m’a appelé.»* Un T2 à Illkirch-Graffenstaden s’est libéré. L’immeuble est détenu par un *«propriétaire solidaire»* qui l’a confié en mandat de gestion à Habitat et Humanisme. Le bail est renouvelable et le loyer (500 euros) est inférieur aux prix du marché. *«44 m²… vous vous rendez compte ? J’étais aux anges»,* s’émeut Léon Foé, qui a récupéré les clés le 6 septembre. De son troisième étage, il donne sur une rivière, l’Ill, des arbres, une route et un pont. *«C’est calme, une délivrance.»* Il va pouvoir *«lire allègrement»,* jouer du balafon (un xylophone utilisé en Afrique centrale) et organiser son futur : une formation au métier de conseiller en insertion professionnelle.