Table of Contents
Plébiscitée par les Français, l’eau minérale voit la pérennité de sa filière remise en cause par les dérives de Nestlé Waters, qui cherche à produire coûte que coûte en multipliant les pressions sur la ressource.
Une fraude massive révélée
Le 3 juin, l’association UFC Que Choisir a lancé une procédure judiciaire à l’encontre du groupe Nestlé Waters et de plusieurs ministres dans le cadre de la fraude massive sur l’eau minérale Perrier. L’affaire a déjà engendré chez la célèbre marque, propriété du groupe depuis 1992, des baisses de ventes de 14 % sur les premiers mois de l’année 2025.
Dans un pays où 72 % des Français déclarent consommer de l’eau en bouteille au moins une fois par semaine, le sujet est hautement sensible, d’autant plus qu’elle est associée par les consommateurs à des effets sur la santé supérieurs à l’eau du robinet. Ce postulat savamment entretenu par les industriels sur un marché estimé à 2,7 milliards d’euros est désormais questionné par le scandale Perrier.
Des dissimulations volontaires
Tout a débuté le 31 août 2021, lorsque Nestlé Waters, numéro un mondial de l’eau en bouteille, prend les devants pour rencontrer secrètement la ministre de l’industrie Agnès Pannier-Runacher suite aux révélations d’un lanceur d’alerte sur des usages illégaux de désinfection d’un concurrent et à une enquête de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes.
Les « aveux » de Nestlé concernent ses recours à des traitements non conformes sur ses sites du Gard (Perrier) et des Vosges (Vittel, Hépar, Contrex), régulièrement pollués par des résidus de bactéries et de pesticides. L’industriel utilise des techniques de désinfection communes à l’eau du robinet comme le filtre à charbon et les traitements ultraviolets.
La définition donnée par la législation est pourtant claire : les eaux minérales naturelles « doivent être microbiologiquement saines et être embouteillées telles qu’elles sont à l’émergence, sans traitement susceptible d’altérer leurs caractéristiques ».
Aucune pratique ne respecte la réglementation, mais la ministre garde l’information secrète.
Nestlé Waters présente alors à la ministre un « plan de transformation » qui substitue les méthodes de désinfection par de la microfiltration à 0,2 micron, également interdite sur les eaux minérales qui ne tolèrent que des filtres au-dessus de 0,8 micron. Une enquête administrative est toutefois mandatée par cette dernière en octobre 2021 pour faire un état des lieux des traitements non autorisés chez les minéraliers en France.
Conclusions accablantes et impacts économiques
Il faut attendre juillet 2022 pour recevoir les conclusions des Agences régionales de Santé qui dressent un constat accablant : toutes les marques de Nestlé Waters présentent des pratiques illégales. Ces conclusions n’incitent pourtant ni les autorités publiques, y compris le gouvernement jusqu’au sommet de l’Etat, à suspendre la production des eaux minérales ni Nestlé Waters à modifier l’appellation « eau minérale naturelle » de ses produits.
La valeur des marchandises commercialisées illégalement par le groupe sous cette appellation a été estimée à 575 millions d’euros par le Sénat. Au-delà de ces pratiques trompeuses, les risques sanitaires ont été très largement sous-estimés. La destruction de deux millions de bouteilles de Perrier en 2024 pour la présence de bactéries fécales démontre l’inefficacité de la microfiltration pourtant centrale dans le « plan de transformation » avancé par l’industriel.
C’est finalement en janvier 2024 qu’éclate le scandale avec la publication d’une enquête, provoquant une commission d’enquête sénatoriale et des signalements au procureur de la République. Aujourd’hui, l’industriel ne respecte toujours pas la réglementation et le préfet du Gard a ordonné à Nestlé Waters de retirer d’ici le 7 juillet 2025 la microfiltration sur tous ses puits de la marque Perrier.
Un marché très lucratif
Les pratiques de l’industriel sont loin d’être isolées dans le secteur. Le rapport d’enquête de juillet 2022 a constaté qu’un tiers des marques d’eau en bouteille étaient non conformes à la réglementation. Malgré le scandale industriel et politique, Perrier bénéficiait encore en 2024 de 78 % d’opinions favorables, selon une enquête Ipsos. Nestlé, dans une réponse, ajoute que « le nombre de foyers ayant acheté du Source Perrier référence classique est stable, ce qui indique que la confiance de nos consommateurs est inchangée ».
Pour Cathy Le Hec, présidente de la Maison des eaux minérales naturelles (MEMN), syndicat qui regroupe 40 % des minéraliers français : « Les consommateurs sont très attachés à leur marque. La composition de chaque eau minérale donne un goût unique grâce à un terroir géologique particulier. »
Si le groupe déploie autant d’efforts, c’est que le marché est très lucratif. L’eau minérale naturelle est vendue entre 100 et 400 fois plus chère que l’eau du robinet. Deux multinationales, Danone et Nestlé Waters, se partagent 80 % du marché et le secteur emploie 8 000 personnes.
Conséquences sur l’emploi et les normes
Cette réorientation stratégique visait à rassurer les investisseurs sur les difficultés d’une branche du groupe. La création d’une entité distincte ouvre la voie à divers scénarios comme sa cession ou le transfert des activités d’exploitation à une autre entreprise.
Cette décision stratégique et l’ultimatum imposé par le préfet du Gard inquiètent les habitants des Vosges et du Gard où 550 et 1 000 emplois sont en jeu. Tout en redoutant les conséquences sociales et humaines, la maire de Vergèze (Gard) affirme que « les critères relatifs à l’eau minérale naturelle ne peuvent rester figés face à l’évolution des ressources et des réalités industrielles ».
Si la MEMN n’est pas en faveur d’une modification de la réglementation, elle reconnaît la nécessité de s’adapter aux nouvelles contraintes, comme l’irrégularité des précipitations indispensables au renouvellement des nappes phréatiques.
Une collaboration pour l’avenir
Avec l’intensification des activités humaines, certains industriels se réunissent avec des acteurs publics et associatifs des territoires pour créer des réserves naturelles, financer des pratiques agricoles plus durables ou repenser l’urbanisme et la bétonnisation de certaines zones. A la fois bien commun et or bleu des industriels, l’eau minérale pourra-t-elle redevenir aussi claire que l’eau de roche ?