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Les tarifs US frappent Surat : la flambée des droits de douane imposés par les États-Unis accentue une crise déjà profonde dans la capitale mondiale du polissage de diamants, provoquant pertes d’emplois, baisse des revenus et hausse des abandons scolaires parmi les familles de travailleurs.
À Surat, ville côtière du Gujarat où près de 80 % des diamants du monde sont taillés et polis, les effets combinés de la guerre en Ukraine, de perturbations d’approvisionnement et des nouveaux tarifs américains ont mis à mal la stabilité économique d’ouvriers migrants venus du monde rural.
Le parcours d’Alpesh : une ascension freinée
En 2018, Alpesh Bhai a inscrit sa fille de trois ans dans une école privée anglophone de Surat, un luxe inconcevable durant son enfance dans un village du Gujarat. Il avait étudié dans une école publique où, se souvient-il, « les enseignants étaient rares et l’anglais quasi inexistant ».
Son salaire a progressé lorsqu’il a intégré l’industrie du polissage : jusqu’à 35 000 roupies (390 $) par mois, un niveau qui lui a permis d’offrir à ses enfants l’éducation privée qu’il n’avait pas reçue.
Mais la crise est arrivée par vagues : d’abord l’invasion de l’Ukraine en 2022, qui a perturbé les chaînes d’approvisionnement — l’Inde puisant au moins un tiers de ses diamants bruts en Russie — puis la chute de la demande liée aux nouveaux tarifs américains.
Ses revenus ont chuté à 18 000 roupies (200 $), puis 20 000 roupies (222 $). Les frais scolaires annuels de 25 000 roupies (280 $) sont devenus insoutenables. Cette année, il a retiré ses deux enfants de l’école privée pour les inscrire dans une école publique proche. Peu après, son atelier a licencié 60 % des employés ; Alpesh a perdu son emploi.
Une industrie sous haute tension
Surat emploie plus de 600 000 travailleurs dans le secteur du diamant et compte quinze grandes unités de polissage dont le chiffre d’affaires dépasse 100 millions de dollars par an.
Depuis plusieurs années, l’industrie faisait face à des défis : approvisionnements perturbés en provenance des mines africaines, demande affaiblie dans les marchés occidentaux et flux d’exportations irréguliers vers la Chine.
Avec la guerre en Ukraine, les exportations indiennes de diamants taillés et polis pour l’exercice clos le 31 mars 2024 ont chuté de 27,6 %, affectant durement ses principaux marchés — les États-Unis, la Chine et les Émirats arabes unis.
Les tarifs de 50 % imposés par le président américain Donald Trump ont encore accentué le ralentissement (voir l’article détaillé : https://www.aljazeera.com/features/2025/8/13/will-trumps-india-tariffs-shut-down-worlds-biggest-cut-diamond-supplier).
Conséquences sur l’éducation des enfants
La baisse des revenus contraint de nombreuses familles à retirer leurs enfants des écoles privées, moins bien préparées à l’enseignement local. Alpesh a expliqué : « Si je les avais laissés à l’école privée, je ne sais pas comment j’aurais survécu. Les gens se suicident à cause des dettes et des frais scolaires. »
Les inégalités entre publics et privés sont marquées :
- En 2024, seulement 23,4 % des élèves de troisième année en école publique lisaient à un niveau de deuxième année, contre 35,5 % en école privée.
- À la cinquième année, les scores étaient de 44,8 % pour les écoles publiques et 59,3 % pour les privées.
Kishor Bhamre, directeur de Pratham, souligne l’impact psychologique : « Passer d’une école privée à une publique signifie perdre son environnement familier — amis, enseignants — et parfois déménager d’un cadre urbain à un milieu plus rural, ce qui complique l’apprentissage. »
Exode des travailleurs et conséquences sociales
Face à la perte d’emploi et à l’impossibilité de payer les loyers, certains travailleurs retournent dans leurs villages d’origine. Shyam Patel, 35 ans, a dû revenir au district de Banaskantha après la fermeture de son unité de polissage.
Il travaille désormais comme journalier dans des champs de coton et son fils, en terminale, a abandonné après quatre mois de rentrée. « L’école publique ne peut pas accepter d’élèves en cours d’année », explique-t-il.
Les données officielles montrent une baisse visible de la scolarisation : plus de 600 élèves ont quitté leur scolarité en cours d’année dernière après que leurs parents ont perdu leur emploi ou sont repartis en zone rurale.
Le vice‑président du syndicat Diamond Workers Union Gujarat, Bhavesh Tank, estime qu’environ 50 000 travailleurs ont quitté Surat au cours des 12 à 14 derniers mois. Le Vishwa Hindu Parishad (VHP) local note également une augmentation des décrochages et du mécontentement lié à la qualité de l’éducation publique.
Mesures d’aide mais critères limités
En mai, le gouvernement du Gujarat a lancé un dispositif d’aide destiné aux travailleurs du diamant touchés par la crise — une mesure rare pour le secteur.
Points clés du dispositif :
- prise en charge d’une année de frais scolaires pour les enfants de polisseurs de diamant, jusqu’à 13 500 roupies (150 $) par an ;
- éligibilité réservée aux travailleurs sans emploi depuis au moins un an et disposant d’au moins trois ans d’expérience en usine ;
- le versement est effectué directement aux écoles.
Les demandes se sont multipliées : près de 90 000 requêtes ont été enregistrées dans l’État, dont environ 74 000 à Surat. Après un départ lent (170 aides versées en juillet), les autorités ont déclaré avoir débloqué 82,8 millions de roupies (921 000 $) pour les frais de 6 368 enfants à la mi‑septembre.
Pourtant, près de 26 000 demandes ont été rejetées, souvent selon les autorités pour « renseignements incomplets », ce qui a suscité colère et demandes d’explications de la part des travailleurs. Le syndicat déplore aussi que les critères excluent ceux qui subissent des réductions d’heures ou des coupes partielles de salaire.
Conséquences humaines et détresse
La crise a des effets humains tragiques. Le syndicat a enregistré au moins 71 suicides parmi les travailleurs du diamant jusqu’en novembre 2024 et la ligne d’assistance mise en place a reçu plus de 5 000 appels.
Divyaben Makwana, 40 ans, a perdu son fils Kewalbhai, 22 ans, qui s’est suicidé le 14 juin après avoir perdu son emploi. Il gagnait environ 20 000 roupies (220 $) par mois.
Divyaben raconte les dettes contractées — 500 000 roupies (5 560 $) empruntées auprès de proches — et la descente aux difficultés : elle travaille désormais comme femme de ménage, son autre fils Karmdeep a quitté l’école en classe de 11 et suit une formation pour apprendre la taille des diamants en espérant trouver un emploi.
« L’éducation coûte cher », dit-elle. « Avec un apprentissage, il pourra peut‑être rembourser nos dettes quand le marché se rétablira. »
Soutien et ressources
Pour les personnes en détresse, des ressources existent :
- Ressource internationale de soutien : https://findahelpline.com/i/iasp
- Ligne d’assistance du Diamond Workers Union : +91-92395 00009
Ces numéros et services sont mentionnés comme points de contact pour ceux qui cherchent de l’aide immédiate.