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Veuves de guerre en Ukraine : entre deuil et aide financière
Depuis le début de l’invasion russe le 24 février 2022, plus de 70 000 soldats ukrainiens ont été tués au front, selon les estimations américaines. L’Ukraine ne divulgue pas le nombre de victimes, laissant de nombreux enfants et épouses derrière eux pour affronter le deuil et obtenir une aide financière.
Un article du journal « Le Monde », rédigé par Faustin Vincent, relate l’histoire d’Iryna Bondarenko (41 ans), qui a tenté de rester calme lorsque son mari n’a pas répondu à ses appels avant de retourner au front. Un jour, deux hommes en uniforme militaire se sont rendus à son domicile à Odessa et lui ont remis un document officiel annonçant le décès de son mari, Volodymyr Bondarenko, le jour précédent près de la ville de Mykolaïv. Ce papier lui permettait de demander une pension de retraite et des avantages conformément à la loi ukrainienne.
Iryna Bondarenko n’est pas la seule à vivre cette tragédie. Des milliers de femmes se retrouvent veuves du jour au lendemain, deux ans après le début de l’attaque russe contre leur pays, formant une communauté invisible aux malheurs multiples.
À Odessa, une vingtaine de femmes manifestent chaque semaine pour rappeler au public leur attente de nouvelles concernant leurs maris portés disparus entre mars et mai 2022. Selon Tetiana Lanovaia (36 ans), qui arbore des photos des disparus, « les autorités les ont oubliés, la plupart des gens ne savent pas que ce problème existe. Nous voulons qu’ils nous aident à les retrouver ».
Incompréhensions et dilemmes financiers
Après la perte de leurs époux, la vie de ces femmes bascule dans le chagrin. Anna Fratkin (41 ans), esthéticienne, et mère de deux enfants, a perdu son mari, Roman, sur le champ de bataille en septembre 2022 : « Je ne vis plus… Je suis là. C’est tout. »
Malgré la profonde tristesse qui les accable, ces femmes se heurtent souvent à l’incompréhension voire à l’hostilité de la société. Elles suscitent de la jalousie principalement en raison des 370 000 euros d’indemnités qu’elles reçoivent, qu’elles partagent avec les parents du défunt, dans un pays où le salaire moyen est de 365 euros.
Nikolaï Storozouk, vice-présidente de l’organisation non gouvernementale « Centre des anciens combattants » à Odessa, se souvient de sa stupéfaction en apprenant le montant annoncé par les autorités : « Honnêtement, entre les militaires, les anciens combattants et leurs familles, nous avons été très surpris de leur promesse. D’un montant si élevé. Certes, la vie n’a pas de prix, mais nous avons découvert qu’elle valait le double de ce qu’elle était aux États-Unis ».
Disparités d’indemnisation
Ce montant est bien plus élevé que celui reçu par les veuves des soldats tombés au front avant 2022 lors de la guerre dans le Donbass en 2014. À l’époque, elles touchaient 16 000 euros, soit 23 fois moins que le montant actuel. Nicolaï Storozouk déclare : « Nous avons été choqués par cette différence. Peut-être que le gouvernement pensait que la guerre ne durerait pas aussi longtemps ».
Cette disparité dans le traitement a entraîné des débats tendus au sein du groupe Facebook « Ensemble », regroupant environ 3 300 veuves de soldats. Tetiana Vatsiunko-Bondareva, fondatrice du groupe après la mort de son compagnon, souligne : « Les femmes qui ont perdu leurs maris avant 2022 disent que ce n’est pas juste, qu’elles ont aussi perdu leurs maris. Oui, ce n’est pas juste, mais nous ne pouvons pas réécrire le passé ». Pour mettre fin aux querelles, elle a décidé de ne pas accepter les veuves de la guerre du Donbass dans son groupe.
« Les gens me disent : bien. Ton mari est mort à la guerre, mais au moins tu es riche », répond Anna Fratkin, qui a fait don d’une partie de cette somme à l’armée. « D’autres essaient de calculer ce que j’ai reçu. Je les entends parler dans mon dos. Ils ne savent pas que chaque dépense est empreinte de chagrin. Je sais d’où ça vient. Cela me rappelle la mort de Roman en permanence. »
Le gouvernement a mis en place des programmes de soutien aux familles des soldats tombés au combat, reconnaissant ainsi leurs sacrifices pour la nation. Cependant, la société semble ignorer la douleur de ces femmes.
Tetiana Vatsiunko-Bondareva raconte : « Quatre jours après la mort de mon mari, on m’a dit d’arrêter de pleurer. Ce n’est pas grave ». La perception de notre douleur diffère considérablement de celle d’une mère. Pour une mère, c’est perçu comme une catastrophe dans sa vie, mais pour une veuve, les gens se disent : « Elle souffre, mais elle trouvera quelqu’un et tout passera ».
De nombreuses veuves décident de rejoindre l’armée, que ce soit pour venger leurs maris ou poursuivre le combat. Cependant, « aucune d’entre nous n’était prête à payer un tel tribut pour le pays », comme le souligne avec émotion Tetiana. « Je ne peux imaginer le niveau de patriotisme que doit avoir une femme pour dire que le sacrifice de son mari était justifié ».