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Lorsque le Cosco France, un cargo de 366 mètres de long, quitte le port de Shanghai fin mars, les eaux du commerce mondial sont encore relativement calmes. Durant les quelques semaines de son trajet, le monde a changé. Donald Trump a eu le temps d’imposer des droits de douane planétaires, de les suspendre envers la majorité des pays, et de les augmenter encore contre Pékin. À son arrivée au port californien de Long Beach, le 11 avril, les taxes cumulées sur les importations chinoises s’élèvent à 145 %. Le Cosco France, qui avait chargé ses marchandises avant l’annonce, y échappe de justesse.
Les conséquences au port de Los Angeles
A quelques kilomètres de là, le port de Los Angeles a subi de plein fouet cette guerre commerciale. Nœud logistique majeur de la côte ouest américaine, il a enregistré en mai des importations inférieures de 25 % à ses prévisions initiales et 17 navires qui y étaient attendus le mois dernier ont été annulés, entraînant un manque à gagner chiffré à 17 milliards d’euros. « Je continue à demander des réunions avec la Maison-Blanche, en vain », confie à L’Express son directeur, Gene Seroka. « Nous avons environ 125 000 entreprises dont les importations transitent via notre port chaque année… La situation actuelle leur fait peur ».
Le transport maritime face à l’incertitude
En 2023, près de 12 milliards de tonnes de marchandises ont été transportées par voie maritime, représentant 80 % du commerce mondial de biens. Habitués à des fréquences régulières et des itinéraires millimétrés, les armateurs ont appris à s’adapter aux vents capricieux qui soufflent ces dernières années. La pandémie de Covid, les attaques des rebelles Houthis en mer Rouge, et les soubresauts douaniers orchestrés par Donald Trump les ont contraints à modifier leurs plans de route.
Les fluctuations des réservations
Les annonces du 2 avril sur les droits de douane ont provoqué un effondrement du nombre de réservations. Au sein de la Gemini Cooperation – l’alliance formée par l’allemand Hapag-Lloyd et le danois Maersk – ce déclin a atteint 30 % au creux de la crise. Certains ont suspendu leurs services sur la ligne trans-Pacifique ou redéployé leurs bateaux sur d’autres routes. « Nous avons pris la décision de ne pas annuler de trajets et avons plutôt opté pour des bateaux de plus petite taille », explique Nils Haupt, porte-parole de Hapag-Lloyd.
La reprise de la demande
Lorsque quelques semaines plus tard, le président américain suspend pendant 90 jours les droits de douane dits « réciproques » appliqués à la Chine, les ramenant de 145 % à 30 %, la demande repart aussi brutalement qu’elle s’était tarie. « Nos clients ont réagi dans les heures qui ont suivi l’annonce et nous nous sommes retrouvés à court de capacité », se rappelle Nils Haupt. « Depuis, nous avons décidé d’ajouter six navires supplémentaires sur la direction trans-Pacifique ».
Des coûts de transport volatils
Ces va-et-vient ont rendu les coûts du transport maritime encore plus volatils. Ces dernières semaines, ils ont grimpé en flèche. « Les prestataires logistiques et les grands chargeurs ont acheté de l’espace sur les navires dès le début de l’année. Mais les variations des tarifs se répercutent sur les disponibilités du marché _spot,_ fixées au jour le jour », précise Laurent Livolsi, professeur en sciences de gestion à l’Université Aix-Marseille. Pour l’instant, cette hausse ne dissuade pas les clients.
Le casse-tête des importateurs
Aux Etats-Unis, malgré la relative reprise, les importateurs restent sur le qui-vive, surtout dans la grande distribution, où la période est cruciale en prévision des fêtes de fin d’année. « S’ils n’importent rien pendant 40 jours, les distributeurs américains verront leurs stocks s’épuiser », alerte Peter Sand. « Les étagères ne seront peut-être pas vides, mais les consommateurs auront probablement moins de choix dans les prochains mois ».
Les stratégies des importateurs
Certains avaient anticipé l’orage. Au premier trimestre, les importations américaines ont bondi de plus de 40 % : redoutant la hausse des droits de douane, les acheteurs ont accéléré leurs commandes pour constituer des stocks préventifs. Cette approche, appelée « front loading », nécessite un pilotage minutieux des flux d’approvisionnements. Les entreprises du textile, par exemple, ne peuvent pas toujours vendre ces stocks plus tard pour des questions de tendance ou de saisonnalité.
Le rôle des logisticiens
Dans cette tempête, les professionnels de la logistique se frottent les mains. D’ordinaire discrets, ils sont de plus en plus sollicités pour faire face à la complexité administrative et douanière. « Pour nous, cette crise est du pain béni », confie Nicolas Rahmé, fondateur de DocShipper, une entreprise d’import-export basée à Hong Kong. « Dans le monde opaque de la logistique, nos clients – notamment des PME – ont plus que jamais besoin de nos conseils ».
Les défis à venir
A partir d’octobre, les navires construits en Chine ou battant pavillon chinois feront l’objet de frais d’accostage aux Etats-Unis. L’objectif est de favoriser la construction navale américaine à l’heure où la Chine domine la filière au niveau mondial. Le géant tricolore CMA CGM prévoit de réorganiser sa flotte en redirigeant ses bateaux fabriqués en Chine vers d’autres lignes.