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Depuis plus de quarante ans, après l’instauration de la République islamique d’Iran sous la direction de l’ayatollah Khomeiny et la chute du Shah, une nouvelle orientation politique prend forme. Khomeiny déclara à plusieurs reprises qu’Israël était une « tumeur cancéreuse au cœur du monde islamique » qu’il fallait éliminer. Dès les débuts, l’ambassade israélienne à Téhéran fut transformée en ambassade palestinienne, confiée à feu Yasser Arafat.
Cette posture, au-delà des analyses sur les intentions de la République islamique, souligne la place centrale que la Palestine occupe dans la politique iranienne. Depuis la fin des années 1970, l’Iran a progressivement noué des relations étroites avec les mouvements de libération palestiniens, notamment avec le Fatah d’Arafat. À cette époque, les rues de Téhéran ont connu les plus grandes manifestations pro-palestiniennes lors de la visite d’Arafat.
Au fil du temps, ces liens se sont renforcés et spécifiquement avec les mouvements Hamas et le Jihad islamique. Il est désormais incontestable que la République islamique est devenue le principal appui des mouvements de résistance palestiniens, en particulier ces deux groupes.
Cette évolution illustre une rupture fondamentale avec l’ère du Shah, où l’Iran était un allié d’Israël et un agent des États-Unis au Moyen-Orient. Cette perspective permet de mieux comprendre les tensions actuelles, et sans doute futures, entre la République islamique et l’État d’Israël considéré comme puissance occupante de la Palestine, un territoire considéré comme occupé à libérer selon la doctrine iranienne, notamment par le guide suprême et la Garde révolutionnaire.
Pourquoi une guerre contre l’Iran maintenant ?
L’idée d’attaquer l’Iran n’est pas nouvelle. Depuis plus de quinze ans, Benjamin Netanyahu alerte sur la menace nucléaire iranienne, la présentant comme l’un des plus grands dangers pour Israël. Cependant, Israël a longtemps hésité, craignant les répercussions potentielles d’un conflit élargi impliquant les alliés iraniens dans la région.
Cette prudence s’explique par la possibilité d’ouvrir plusieurs fronts sur ce qu’on appelle « l’axe de la résistance ». Israël attendait donc une opportunité plus favorable pour lancer son offensive sans renoncer pour autant à son ambition de dominer la région.
Israël, « le Déluge » et l’élément de surprise
Les Brigades Al-Qassam ont à plusieurs reprises affirmé posséder des renseignements sur un projet d’attaque israélienne majeure, confirmés par certains officiers israéliens. Le but était de porter un coup brutal à la résistance palestinienne, notamment Hamas et Jihad islamique, débutant par Gaza, afin d’affaiblir l’influence iranienne.
Mais la résistance, surtout Hamas, a anticipé cette attaque en lançant une offensive surprise baptisée « le Déluge », dont les conséquences se font encore ressentir. Face au choc, Netanyahu a annoncé explicitement son projet de remodeler le Moyen-Orient vers un « Nouveau Moyen-Orient », évoqué lors de son discours à l’ONU en septembre 2023 avant « le Déluge », où il parlait d’une « Grande Israël ».
Ce projet est soutenu par les États-Unis et certains alliés régionaux influents.
Un « Nouveau Moyen-Orient » à construire
Le concept de « Nouveau Moyen-Orient » n’est pas inédit. Shimon Peres, ancien Premier ministre israélien, en avait déjà parlé dans son ouvrage. Pour lui, la paix et la prospérité économique avec les voisins étaient la clé de cette vision.
Cependant, cette idée s’est heurtée à plusieurs obstacles majeurs, notamment la présence de mouvements de résistance, particulièrement en Palestine, qui adoptent la stratégie d' »unifier les fronts » contre l’occupation. Après plus d’un siècle depuis l’accord Sykes-Picot et face à l’affaiblissement des États fragmentés, Israël ambitionne d’instaurer un « Nouveau Moyen-Orient » afin de prolonger son contrôle pour un autre siècle.
L’organisation des rôles est claire : les États-Unis se concentrent sur les fronts européen et russe, surveillent la montée de la Chine, tandis qu’Israël affronte les mouvements de résistance régionaux.
Mais la question demeure : ce projet peut-il réussir ?
Quatre conditions essentielles sont nécessaires :
- Une volonté réelle des États-Unis et d’Israël.
- Des régimes efficaces pour soutenir et réaliser cette vision.
- L’élimination des mouvements de résistance et de leurs soutiens.
- L’absence de conscience populaire arabe et islamique, couplée au soutien des forces libres dans le monde.
Or seule la première condition est remplie à ce jour. Le reste, notamment l’élimination de la résistance, semble improbable. Malgré les efforts déployés lors des deux dernières années, la résistance reste active, menant une guerre d’usure douloureuse pour l’occupant. Peut-on imaginer qu’Israël échoue face à une petite résistance à Gaza mais réussisse à anéantir un État aussi puissant que l’Iran ?
L’avenir de l’Iran face au conflit
Donald Trump n’a jamais été éloigné du projet du « Nouveau Moyen-Orient ». Sa politique a largement contribué à façonner le climat régional : retrait de l’accord nucléaire, soutien inconditionnel à Israël avec le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem et la reconnaissance du Golan comme territoire israélien.
Cependant, il a récemment prôné la diplomatie et le dialogue avec l’Iran, fixant un délai de deux mois pour parvenir à un accord conforme aux exigences américaines. Malgré cela, la coordination entre Washington et Tel-Aviv a persisté concernant les négociations avec Téhéran, perçue comme une cible facile, à l’instar du Hezbollah au Liban.
Cette sous-estimation ignore que l’Iran, qui appelle à la destruction d’Israël depuis plus de quarante ans, n’a jamais été inactive. Après expiration du délai imposé par Trump, Israël a frappé l’Iran avec une attaque surprise lourde de conséquences et révélant une faille de sécurité majeure.
Malgré ce choc, l’Iran a rapidement riposté, plaçant Israël dans une position délicate, forçant la demande d’intervention américaine.
L’entrée en guerre des États-Unis et ses conséquences
Le conflit s’est intensifié avec plusieurs escarmouches entre Israël et l’Iran. Israël n’a pu mener une frappe efficace sur les sites nucléaires iraniens sans un soutien direct des États-Unis, présents dès le début du conflit sur les plans politique, médiatique, sécuritaire et logistique.
L’intervention militaire américaine directe a succédé à la tactique de la « période de grâce de deux semaines » et s’est traduite par des frappes surprises ciblant notamment les installations de Fordow, Natanz et Ispahan. Les dégâts réels font encore l’objet de divers rapports.
Trump a appelé à la paix et au retour à la table des négociations, proposant un « peace through strength » (« paix par la force »). En réponse, l’Iran a effectué une riposte limitée sur la base d’Al-Udeid au Qatar, évacuée avant l’attaque.
Pourtant, Téhéran n’a pas étendu ses représailles contre les forces américaines dans la région, se concentrant sur le bombardement d’Israël sans indiquer vouloir mettre fin au conflit.
Pourquoi l’Iran évite une confrontation directe avec les États-Unis ?
Plusieurs raisons expliquent cette retenue :
- L’Iran ne souhaite pas un affrontement direct, conscient des risques d’une riposte massive.
- Les alliés de l’Iran ne sont pas prêts à s’engager dans une guerre contre les États-Unis, ce qui affaiblit sa position.
- Une diminution de la capacité de certains alliés sur lesquels l’Iran comptait.
- Une possible infiltration sécuritaire limitant la prise de décision pour un conflit ouvert.
Le mardi matin, le Qatar a annoncé une médiation à la demande américaine visant à pousser l’Iran vers un cessez-le-feu avec Israël.
La nécessité d’un cessez-le-feu pour Israël
Il semble qu’Israël ait plus besoin que l’Iran d’un arrêt des hostilités, notamment pour :
- Faire face à l’incapacité de supporter les pertes dues aux frappes iraniennes répétées.
- Éviter une guerre longue alors que Téhéran affirme sa préparation à la durée.
La question suivante est celle des négociations après un éventuel cessez-le-feu. Il est probable que l’Iran accepte de négocier, mais pas en position de soumis comme espéré par Trump. L’Iran se présentera en état de force, fort de sa résilience face à Israël et aux États-Unis, et ayant déjoué une tentative de renversement du régime via des cellules internes entraînées à cet effet.
L’Iran négociera tout en gardant une munition prête, au cas où Israël intensifierait les hostilités.
Ce conflit constitue un épisode parmi d’autres dans la confrontation entre Israël et la République islamique. Ce n’est pas la fin de la guerre, car d’autres batailles sont à prévoir dans un avenir proche, destinées à tenir Israël en échec et à contrer l’idée du « Nouveau Moyen-Orient ».