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À Genève, une agence de relocation discrète mais très active est au cœur d’une enquête pénale suite à des plaintes émanant de locataires et de régies immobilières. Gérant plus de quarante appartements depuis 2020, cette société est accusée de pratiques douteuses, notamment de sous-location illégale et de falsification de signatures.
Getty Images / Montage – Tamedia Sophie Brasey
Une agence de relocation au profil discret mais controversé
Dirigée par Labid*, un homme d’origine algérienne âgé d’une quarantaine d’années, cette agence de relocation s’est imposée comme une référence pour les personnes en situation irrégulière cherchant un logement à Genève. Malgré une présence en ligne quasi inexistante — site web inactif, téléphone coupé, bureaux souvent vides — l’entreprise semble prospérer.
Labid est connu pour sa détermination à développer son activité, comme il le mentionnait déjà lorsqu’il travaillait dans la vente de tapis : « l’amour du chiffre ». Ce dynamisme s’est traduit par la gestion d’au moins une quarantaine d’appartements entre 2020 et aujourd’hui.
Un réseau structuré de sous-location frauduleuse
La société a commencé à se faire remarquer au début de la pandémie de Covid-19, en proposant ses services via Facebook dès mars 2020. Profitant du contexte sanitaire, elle a soumis à la Régie du Centre une dizaine de dossiers de clients souvent ignorants de ces démarches.
La régie a découvert que les appartements attribués étaient en réalité sous-loués à d’autres personnes, souvent sans titre de séjour ou sous le coup de poursuites judiciaires. Ces sous-locations s’effectuaient grâce à la falsification de signatures des locataires initiaux, qui n’étaient pas informés.
Le système reposait sur l’utilisation des dossiers solvables de certains clients pour obtenir plusieurs baux, ensuite sous-loués illégalement. En 2022, la Régie du Centre a porté plainte auprès de la police et encouragé les victimes d’usurpation d’identité à faire de même. Une instruction judiciaire est ouverte depuis avril 2023.
Les témoignages des victimes
Ahmed : une découverte choquante
Ahmed*, chauffeur de taxi récemment arrivé à Genève, a accepté un appartement en attique proposé par l’agence. Sur place, il découvre un logement sale et plus petit que prévu, déjà occupé. Après plusieurs relogements provisoires, une facture impayée des Services Industriels de Genève lui révèle que son identité a été utilisée pour signer des baux à son insu.
Lors d’une visite à la régie Pilet & Renaud, une employée constata que la signature du bail ne correspondait pas à celle d’Ahmed. Le dossier de location a mystérieusement disparu, selon la régie, poussant Ahmed à déposer plainte. Il découvre également une autre location sous son nom chez la régie Grange, qui a lancé une procédure d’évacuation en raison des loyers impayés, procédure exécutée en son absence.
Yana : complicité et réseau
Yana*, ancienne collaboratrice de Labid et désormais chasseuse d’appartements, décrit une activité intense où Labid multiplie les contacts avec différentes régies et propriétaires. Elle révèle que la société louait des appartements en sous-location alors même que les baux principaux étaient résiliés, laissant les locataires sans garantie de logement stable.
Une famille originaire des Balkans a ainsi versé plus de 6000 euros en six mois, changeant à plusieurs reprises d’appartement, avec à chaque fois un nouveau dépôt de garantie réclamé par l’agence.
Un face-à-face tendu avec les autorités et les régies
L’appartement de l’avenue Wendt, géré par la régie Moser, faisait partie des sept sous-loués par Labid ou ses contacts. Alertée, la régie a porté plainte en début d’année. Contacté, Labid a d’abord tenté de se présenter en victime, affirmant que ce sont les sous-locataires qui refusaient de payer les loyers, alors qu’il aurait encaissé au moins 6000 euros, délivrant des quittances.
Il a ensuite refusé de répondre aux questions, mais confirme une certaine aisance financière. Rui Brandao, coordinateur de l’Association pour la sauvegarde du logement des personnes précaires (ASLPP), relate une rencontre lors de laquelle Labid lui a remis en liquide l’équivalent d’une caution, soit environ 1900 euros, dans une ambiance tendue.
Un système bien rodé mais exposé
L’enquête révèle que cette société a obtenu des appartements auprès d’au moins huit régies genevoises différentes, malgré des procédures d’attribution strictes. Les signatures falsifiées ont échappé aux contrôles, compliqués par l’utilisation répétée de plusieurs identités, numéros de téléphone et adresses e-mail différentes.
Une gérante de régie explique que des alertes ont été mises en place pour empêcher ces personnes de louer à nouveau, et que les cas ont été partagés entre professionnels afin d’alerter le secteur immobilier local.
Labid aurait récemment réduit sa visibilité, mais son frère continue d’être actif en louant des appartements, dont certains sont aujourd’hui en procédure d’évacuation.